29.5.08

la tête haute



si l'allure avait été franche et la décision irrévocable, la démission avait laissé dans la bouche un goût d'amertume inexplicable et une fois sur le trottoir, l'entreprise dans le dos, force était de constater que j'accusais le coup, quelques longues minutes pendant lesquelles la respiration ne revenait pas, avant de balayer non pas les doutes, il n'y en avait aucun, mais un reliquat de mauvaise conscience que l'entreprise avait su employer contre moi pour que, quelle que fût la situation, sa responsabilité me soit invariablement imputée, et de poursuivre mon chemin, la tête haute parce que je n'entrais plus dans la combine

28.5.08

le sirocco



le sirocco avait soufflé la nuit précédant le retour, de sorte que la ville entière était recouverte d'une pellicule ocre, grasse et vilaine, on avait examiné les rues sans état d'âme avant de rentrer à l'appartement où l'on avait vidé dans un bocal un sachet plein d'une terre brune qui dégageait un nuage poussiéreux, d'un doigt mouillé on en avait ramassé les grains épars et on les avait portés à la bouche, y goûtant l'âpreté et la force, on avait refermé le bocal que l'on avait posé en évidence sur une étagère, derrière les parois de verre la tempête soulevait les dunes

27.5.08

la vie rétrécie



il se passait ceci que la vie rétrécissait, c'était une sensation qui s'imposait jour après jour, les différences s'amenuisaient, les rues toutes faites du même pavé se confondaient comme les discours, tous construits sur le même mode, l'attention restait focalisée sur un point fixe, c'était globalement satisfaisant, la lucidité était accrue, comme une page tournée, ou en train de l'être, on perdait en spontanéité, en naïveté, en étonnement peut-être bien que certaines curiosités persistassent, on sentait l'un et l'autre que les choses changeaient et que l'on changeait avec elles

26.5.08

le temps gris



on s'était séparé pour le déjeuner, tu restais dans le marais pendant que je gravissais le cinquième, au retour par la rue saint jacques j'avais reconnu l'endroit précis où j'avais appelé un soir il y a plus de dix ans ce couple que je fréquentais alors pour apprendre qu'ils se séparaient et que l'on ne se verrait plus, la cabine téléphonique avait disparu mais je ne pouvais pas me tromper, l'avant-veille j'avais rencontré un fantôme, après deux semaines de soleil, le temps virait au gris, on s'était retrouvé sous un parapluie, toi et moi, j'avais pris ton bras en baissant la tête

25.5.08

la fête des mères



le rapport à la mère distribuait en égale quantité un attachement déraisonnable et une rancune éternelle, de la même façon le rapport de la mère à sa progéniture se nourrissait d'une dose conséquente de cannibalisme que pondérait un sentiment qui avait à voir avec l'amour mais n'en était pas, l'enfant, autrefois porté sur le ventre, était à soi comme il avait été en soi, une excroissance, un prolongement, un membre sectionné injustement, l'amputation enrageait autant les deux parties qu'elle les faisait souffrir, la mort résoudrait l'équation en temps utile

louise bourgeois, maman, jardin des tuileries

24.5.08

les filles



elle avait glissé un mot à l'oreille de la brune qui filtrait sur le quai et avait agité la main dans notre direction, on s'était faufilé parmi les filles et on était monté à bord de la péniche, la soirée battait son plein, on avait bu du coca en regardant la seine, de tout côté longs cils et cheveux en bataille, débardeurs et hanches larges, quelques shane androgynes faisaient se retourner des femmes en costume sombre, on s'était mêlé aux danseuses qui jouaient des épaules, il y avait la queue aux toilettes côté droit mais personne côté gauche, on s'était couché tard, le lendemain on buvait un café à l'industrie, entre patronne et serveuses, la clientèle, féminine et complice, se remettait de la soirée, accoudée au zinc, je lisais un roman lesbien, on basculait

valérie belin, modèles, maison européenne de la photographie

23.5.08

l'esclavage



l'exposition avait commencé en mars, elle regroupait les pièces de l'artiste au centre pompidou pour une rétrospective amplement méritée, j'avais décidé de t'attendre lors du précédent voyage pour la visiter, on avait changé d'avis une première fois tous les deux, lui préférant un film à la diffusion unique, à la seconde tentative, lors de la nuit des musées, la file d'attente montait de l'esplanade de beaubourg jusqu'au café éponyme, on avait raisonnablement renoncé, on s'était décidé le jeudi suivant, on s'était étonné de l'absence de visiteurs devant le centre dont les portes étaient fermées, et le sol, à travers les vitres, jonché de détritus, on avait appris le lendemain que les salariés du nettoyage en avaient marre d'être traités comme des esclaves, la grève était reconduite, l'artiste aux traits séculaires voyait tout cela de haut

22.5.08

les sentiments



on habitait un appartement sous les toits, charpenté et biscornu, dont l'espace nous était familier depuis de longues années, on se déchaussait une fois le palier franchi, on pouvait y marcher les yeux fermés, éclairé par la nuit parisienne, on y avait des habitudes, on y cachait des sentiments, derrière les meubles, dans les tiroirs et au sein des livres, on y appréciait un silence d'une qualité rare, vibrant comme une présence, on s'y endormait lourd, serein, accompagné

21.5.08

la passivité



on jouissait dans paris d'une liberté quasi-totale, on allait au gré des envies faire une promenade, manger un morceau quelle que soit l'heure, au cinéma ou bien visiter une exposition, à la différence de new york qui nécessitait des décisions et des directions, paris se vivait au hasard des bouches de métro et des erreurs de parcours, des chemins que l'on croisait, amicaux ou professionnels, les rencontres s'étonnaient toujours : ça n'arrivait jamais, c'était incroyable, mais en vérité c'était quotidien, on reconnaissait quelqu'un dans chaque arrondissement et le moment s'articulait autour du hasard qui avait voulu mettre telle personne sur notre route, on rentrait tard sans se demander ce que le lendemain réserverait, la passivité nous convenait

20.5.08

le siège du parti



la place rouge était vide, on avait poussé la grille qui entourait le siège du parti, l'interphone grésillait, métallique, passées les portes automatiques on avait demandé où l'on pouvait voir l'exposition d'un illustrateur sinophile, du moins dont le nom résonnait ironiquement comme tel : le long de murs en vis-à-vis le communisme s'affichait, dur et solidaire, appelant la jeunesse à des unions révolutionnaires et fermement engagées, on avait opiné, convaincu et fier, le muscle bandé sous le tee-shirt, on était sorti de l'édifice la tête haute et on avait regardé, puissant, la capitale décadente qui s'étalait à nos pieds avec une acuité toute nouvelle

19.5.08

le vertige



on aurait pu penser en avoir fait le tour, tu connaissais mes poses, mes gestes, mes moues, je savais reconnaître ton œil, les lignes qui t'inspiraient ou les détails qui ne t'échapperaient pas, on aurait pu penser que paris mille fois photographié avait déjà tout donné, et que toi et moi dans paris, c'était une histoire déjà écrite, ç'aurait été sans compter les risques, le danger, le vertige, la ville familière nous galvanisait, on n'avait peur de rien

18.5.08

l'homophobie



le stand était dressé devant un cinéma, sur le passage des nombreux piétons du week-end, on pouvait y signer une pétition sobre pour que l'homophobie soit ratifiée comme un crime sur le plan international, on y trouvait quelques brochures, des sœurs perpétuellement indulgentes et une poignée d'homosexuels des deux sexes, on avait accompli notre devoir et observé l'indifférence ambiante en se disant que paris ne mobilisait pas davantage que la province quand il s'agissait de lutter contre les discriminations — lorsque j'avais écrit ces lignes, le correcteur orthographique avait souligné le mot en rouge, l'homophobie n'était même pas reconnue par les dictionnaires électroniques, il restait manifestement du travail à faire

17.5.08

l'entourage



j'avais dans mon entourage des auteurs, des traducteurs, des éditeurs, j'avais des liens avec bon nombre d'hommes de lettre que j'admirais, à qui je témoignais mon respect et mon appréciation de leur travail à travers la correspondance que je forçais vers eux, je pensais aux personnes qui venaient acheter un livre et ne manquaient jamais de préciser qu'ils en connaissaient intimement l'écrivain, je me demandais ce que j'avais en commun avec ces gens-là, le silence emprunté que m'opposaient la plupart de mes interlocuteurs aurait pu m'en donner une idée claire mais j'étais fondamentalement optimiste, je leur trouvais toujours des excuses et je m'accusais d'être spontané, j'avais cependant cette certitude qui me sauvait : je savais ce que je valais, dans la littérature comme dans l'échange, quand eux avaient besoin de garantie avant de s'engager

16.5.08

la visite



en début d'après-midi, on avait rendu visite à une amie très chère

15.5.08

la république



un colis suspect interrompait le trafic aux filles du calvaire, on était descendu un arrêt plus tôt et on avait traversé la station souterraine vers la rue du temple où des cohortes de policiers harnachés jusqu'aux dents isolaient des hommes à la peau mate pour leur demander quelles étaient leurs revendications propres dans la manifestation du jour, niant tout principe élémentaire de liberté individuelle, la république, à l'abri sur son piédestal, levait pourtant un bras volontaire vers le ciel changeant mais elle n'en menait pas large et gardait un silence outragé devant le dispositif de sécurité, on avait fait de même en quittant la place désertée

14.5.08

le geste



à six heures trente, la police avait enfoncé la porte et délogé une poignée d'artistes et d'étudiants qui, en accord avec le maire d'arrondissement, avaient investi un immeuble laissé à l'abandon depuis plus de dix ans et l'avaient remis aux normes d'habitation, des camions de crs occupaient la rue et ses hommes en empêchaient le passage, on s'était rabattu sur la rue charlot où un photographe engagé affichait quotidiennement les portraits d'anonymes munis de leur pièce d'identité posant auprès de sans-papier non-régularisés qui eux, occupaient la bourse du travail, on avait souri pour l'objectif, la main posée sur le dos du frère occasionnel : pour délivrer ses messages la politique passait par le geste, qu'il soit armé d'une matraque ou bien d'un appareil photo, le poing serré ou la paume ouverte, on avait facilement choisi notre camp

13.5.08

le client de passage



on avait poussé la porte du magasin, on était monté au premier étage, tu avais déjà fait ton choix aussi l'achat n'était rien d'autre qu'une formalité, on avait posé des questions par souci de crédibilité, au moment de payer tu avais regretté que, bien qu'appartenant toujours à l'entreprise et pour une raison qui tenait plus de la mesquinerie que du droit du travail, je ne bénéficie plus de la réduction habituelle, j'avais souri, détaché, en plus des sept années de boulot j'avais accordé à la boîte au moins la moitié de l'année sabbatique en pensées tour à tour revanchardes, coupables et résignées, il était temps de tourner la page et j'avais assisté au paiement sans état d'âme, en accompagnateur muet, en client de passage

12.5.08

le serf



l'erreur aurait été de croire que paris offrait des possibilités différentes, l'erreur avait été d'envisager paris comme un lieu favorable au regard de son pourcentage d'acteurs du milieu de l'écrit, tous domaines confondus, au mètre carré, l'erreur était de chasser sur les terres des seigneurs, j'étais un serf, je venais de la campagne, il fallait garder ses distances, ne pas franchir les limites, l'erreur était depuis le départ de penser que si l'on avait une chance, paris en multipliait la probabilité d'occurrence, la vérité était autre, ni plus amère, ni plus douce, elle s'ancrait dans le temps avec bonhomie et comptait les points en me regardant vieillir

11.5.08

la perle



on remontait la rue en soufflant, sacs de voyage sur le dos, deux filles et un garçon marchaient devant nous, traînant tongs et dégaine d'été, l'une d'elles s'était retournée, bloquant le passage, elle avait demandé si l'on connaissait un café du nom de la perle, j'avais expliqué sommairement le chemin en faisant une remarque sur le poids des bagages, la seconde voulait savoir d'où l'on venait, j'avais répondu, elles continuaient en riant : combien de temps avions-nous passé sur la côte d'azur, j'avais dit que l'on y vivait, parce que c'était la vérité mais aussi par provocation, le trio avait tourné le dos, on n'existait plus, pour enfoncer le clou, au moment de les dépasser, j'avais réitéré la direction du café, on m'avait répondu par une moue boudeuse, désintéressée, paris s'annonçait prometteur

10.5.08

la lapalissade



il était évident que l'on n'allait pas recommencer l'expérience, d'une ville à l'autre, à travers textes et photographies : new york avait cela d'unique que la city appelait spontanément l'écriture, avec ses lignes de métro en quadrillage de cahier et central park en illustration principale, on était monté dans la ligne 1 gare de lyon et je t'avais répété la remarque que je m'étais faite deux semaines auparavant, que ce n'était pas le métro new yorkais, tu m'avais répondu par une lapalissade, que ce n'était pas new york, on était descendu deux stations plus loin, sacs sur l'épaule, visage tendu, on n'avait pas pris la peine d'acheter un ticket semaine, manifestement on s'en fichait

7.5.08

l'équipe



le cinéma avait ouvert ses portes à neuf heures, on en était sorti à dix-huit heures, le lendemain le rythme était le même, l'intention était de voir dans son intégralité l'œuvre sérielle d'un cinéaste allemand réputé, on s'était dit que l'on ne tiendrait jamais, ça nous ramenait à des expériences artistiques longue durée antérieures que l'on avait envisagées en se promettant mutuellement de ne pas faire subir à l'autre le spectacle s'il y avait une lassitude, en vérité on travaillait en équipe, quand l'un flanchait, l'autre reprenait le dessus, il encourageait, motivait la troupe, haranguait, on avait quitté le marathon la tête haute, les yeux cernés, la langue teutonne gravée dans les neurones et l'œuvre cinématographique en digestion dans les systèmes, sur la place l'été précoce ravissait les touristes

1.5.08

l'écrivain



« tu mens ?
les écrivains mentent.
ils disent leur vérité, qui est un mensonge pour le lecteur. ils ne mentent pas volontairement, du moins ils ne le font pas systématiquement. mais ils racontent des histoires. des salades. en d’autres mots, les écrivains sont des menteurs. avec du talent en plus. »
laurent herrou, je suis un écrivain