31.10.09

le bon temps



je rentrais rue du vieux marché aux grains, bredouille sans l'être véritablement, plus riche de culture et de géographie, avec le sentiment d'avoir parcouru la ville avec des compagnons souffrant d'un handicap les empêchant de communiquer avec moi, ou comme l'on suit un guide volubile sans s'intéresser à son discours, mais juste aux lieux qu'il vous désigne, je compilais les éléments que j'avais recueillis dans un document informatique que je transmettais une fois par semaine, le samedi, et qui portait le nom du commanditaire couplé à une numérotation croissante, on apprenait finalement en amont peu de choses du suivi de mon enquête sinon que je connaissais bruxelles comme ma poche et que j'y passais vraisemblablement du bon temps

30.10.09

la phénoménologie



le soir, on les croisait aux vernissages que donnaient les galeries d'art contemporain le long des quais, on les suivait aux projections de films indépendants des festivals où l'écrivain retrouvait des contacts sur lesquels je me renseignais par la suite — un critique littéraire, un organisateur de soirées —, on les voyait encore à des lectures ou des conférences autour de sartre auxquelles ils assistaient avec sérieux, avant de serrer les mains des intervenants et d'échanger avec eux — un politologue renommé, un journaliste de la presse quotidienne — des informations qui allongeaient leurs traits l'espace d'une seconde éphémère, et je feignais de réviser mes notes sur la phénoménologie me demandant si, entre ce que j'observais et la réalité des choses, il y avait vraiment une différence

29.10.09

l'alternance



ils se retrouvaient en fin d'après-midi au cirio, le long de la bourse, pour boire un chocolat chaud les jours où l'écrivain rentrait travailler et que je décidais de suivre le photographe de quartier en quartier, m'éloignant progressivement de l'autre et me demandant ensuite, alors que je les observais ensemble à la terrasse du café, si je n'avais pas été entraîné volontairement loin du premier dont l'angle d'approche pour rejoindre le second indiquait précisément qu'il ne venait pas de son domicile, j'alternais donc, restant parfois des heures face à la résidence où rien ne se passait plus, tandis que le photographe disparaissait au coin de la rue de flandre ou derrière sainte-catherine, jetant vers moi — croyais-je — un dernier coup d'œil pour s'assurer de mon choix

28.10.09

la promenade



ils prenaient le 95 jusqu'à flagey pour boire un café au belga, ils se promenaient autour de l'étang d'ixelles, ils se familiarisaient avec les rues du quartier, ils faisaient des repérages, demandaient leur chemin avec simplicité ou étudiaient minutieusement les lignes de tramway et le plan de la ville, ils en revenaient à pieds ou par le 81 qui les déposait loin de leur point de départ, ils avaient des réflexes par rapport à bruxelles que je percevais clairement, une certitude lorsqu'ils s'engageaient dans une impasse, vers des bâtiments officiels qui n'attiraient personne et devant lesquels ils semblaient se disputer, en baissant le ton quand un passant s'y perdait, jetait un œil distrait vers leur couple et rebroussait chemin — je rejoignais alors la foule sur koning en attendant leur passage

27.10.09

les quais



ils déjeunaient au soleil le long du canal, face à l'usine citroën, le photographe prenait des clichés de l'autre, des toits, des façades, du dégagement à l'ouest vers le quai de l'industrie et le centre d'hébergement d'urgence, ils ramassaient les détritus dans des sacs en papier kraft que l'écrivain roulait serrés et qu'il enfonçait dans une poubelle, toujours la même, sur le quai des charbonnages, ils poursuivaient soit vers dansaert, ou à l'opposé vers la place de l'yser où le photographe s'était intéressé quelques jours auparavant à un hôtel de passe au nom hollywoodien, mais dont la fonction ne faisait aucun doute — il le lui montrait à son tour, et l'autre fronçait les sourcils, concentré

26.10.09

l'homme seul



le couple quittait la résidence autour de dix heures trente pour boire un café aux halles saint-géry, échangeant quelques mots puis se plongeant l'un dans la lecture de la presse internationale, l'autre dans un livre bleu marine, ils enchaînaient avec des courses alimentaires — leur fréquentation assidue de la même enseigne que moi nous avait déjà amenés à nous croiser deux fois mais ils n'avaient pas semblé prêter attention à ma présence — et se séparaient sur le trottoir : le premier rentrait avec les achats et le second hésitait avant de prendre une direction chaque jour différente, m'obligeant à choisir lequel suivre, conscient que leur division multipliait les possibilités — de sortie, de rencontre, de décision ou d'itinéraire — et que je n'étais, face à leur combinaison, qu'un seul homme

25.10.09

l'espionnage



on m'avait confié une enquête délicate autour d'un couple d'artistes en résidence pour un mois à bruxelles et dont le travail s'articulait sur un rapport photographie texte a priori anodin, mais mon employeur avait des soupçons quant à la véracité des faits invoqués, de même mettait-il en doute la neutralité des images dont certains angles révélaient, assurait-il, bien plus que ce qui sautait à l'œil nu : il n'utilisait pas le terme d'espionnage, conscient du ridicule possible auquel le mot l'aurait acculé, mais il y avait dans la démarche artistique quelque chose qui créait en effet un malaise, et j'avais accepté la mission sans rechigner et sans chercher à en savoir davantage — je faisais confiance à mon instinct, sinon à l'employeur

24.10.09

le désespoir



je me ravitaillais chez delhaize sur anspach, apprenant sur la plaque du boulevard que l'homme avait été le bourgmestre de bruxelles à la fin du dix-neuvième siècle et m'amusant du mot, je levais le nez vers le ciel avec circonspection, depuis le matin le passage des longs courriers résonnait sur la ville, j'en accusais le vent, la mise en place d'une nouvelle ligne aérienne ou l'anniversaire de la deuxième compagnie belge à l'aéroport sud charleroi, je ramenais les courses en traînant la patte comme un animal usé — le sentiment me collait aux pompes —, j'avais fui la france dans l'espoir d'une tranquillité nécessaire mais le moteur des avions ronflait par-dessus mes pensées et je me désespérais en silence

23.10.09

le mobilier



j'avais posé mes bagages au deuxième étage d'un immeuble bourgeois dans le centre de bruxelles, dont le plancher en bois craquait sous mes pieds quand je traversais de la chambre sur cour au salon qui donnait sur la rue du vieux marché aux grains, et les baies vitrées des lofts dont je regardais les intérieurs variés à la nuit tombée, cherchant d'après leur aménagement à tirer des conclusions sur leurs occupants : à part l'artiste à barbe épaisse que j'avais justement imaginé au vu des chevalets qui encombraient l'espace de leurs croûtes, du ton brun des murs et du triste état des plantes, je n'avais rien remarqué qui réveillât mon intérêt et déçu, je reportais mon attention sur l'appartement que j'occupais, dont la sobriété du mobilier devait certainement elle aussi raconter une histoire

22.10.09

simenon



on m'avait posé la question du parti pris stylistique, le choix du pronom et celui du passé, on m'avait reproché l'indéfinition, ce que je définissais moi plutôt comme une universalité, on sous-entendait que je ne m'impliquais pas, du moins m'interrogeait-on sur mon investissement personnel, la froideur du ton surprenait, on se demandait si c'était voulu, le lendemain on me disait ailleurs qu'on se lassait de l'emploi du temps, il fallait oublier le journal, et l'ego, on me soufflait le genre policier qui me trottait déjà en tête depuis un moment, je ne remettais rien en cause mais j'avais des envies nouvelles qui collaient avec la ville qui m'accueillait à son tour, simenon était belge, qu'avais-je donc à perdre?

18.10.09

la prévisibilité



je regrettais les répondeurs, le chiffre lumineux sur le cadran de l'appareil, la sonnerie du téléphone que l'on ignorait pour se délecter de la voix qui s'enquerrait d'une présence, le message que l'on interrompait pour surprendre ou que l'on écoutait jusqu'à son terme, laissant libre cours à ses émotions : la surprise de l'appel avait été gommée par la reconnaissance automatique des portables, la vibration des cellulaires, les mélodies préenregistrées, ce que l'on avait gagné en indépendance on l'avait perdu en spontanéité, on ne recevait rien d'autre que ce que l'on avait attendu, provoqué, voire réclamé, les newsletters s'ajoutaient aux commentaires des réseaux sociaux virtuels où l'on avait le loisir d'accepter ou de refuser les amis d'antan selon que leur visage ou leur état d'âme nous inspirât ou non, on était devenu prévisible

miquel barceló, flecha rota, pavillon espagnol, venise 2009

17.10.09

la terra firma



on avait quitté la fondamente nuova à l'aube, le ciel pâlissait sur l'arsenal et ses jardins, on avait embarqué à bord d'un bateau jaune et blanc qui laissait venise et ses campaniles dans le dos, on avait frôlé murano pour une escale qui avait distribué des hommes d'affaires en costume cravate sur les bancs du vaporetto et on avait poursuivi vers l'aéroport le long de poteaux colonisés par des mouettes rondes, encore endormies, on avait rejoint la terra firma brièvement, le temps d'enregistrer les bagages et de monter à bord d'un avion à hélices qui avait pris de l'altitude par-dessus la lagune, on avait atterri avec vingt minutes d'avance sur l'horaire annoncé et retrouvé nice presque trop tôt, le pas hésitant, le bruit de l'eau à jamais aux oreilles, la vénétie dorénavant ancrée en soi

16.10.09

venise



on portait les mains au visage en forme de croissants que l'on encastrait l'un dans l'autre pour figurer un plan approximatif de venise autour du grand canal et tenter de se repérer d'un côté ou de l'autre du rialto et de l'accademia, on traghettait assidûment d'une rive à l'autre, néologisant sans honte d'après la langue italienne, on engouffrait tramezzini et cicchetti voluptueux assortis d'un café constamment serré pour reprendre des forces et se perdre encore et encore entre calle, campi, piazze et ponti, on butait parfois sur l'eau au bout d'une impasse et l'on faisait marche arrière avec philosophie, se promettant d'en retenir la localisation et retombant dans le piège la fois suivante, venise est un poisson, écrivait tiziano scarpa, et elle se dérobait sans cesse dans les eaux troubles de la cité au passage des vaporetti

15.10.09

le fond et la forme



je n'avais pas emporté l'ordinateur, à tort ou à raison, arguant que l'emploi du temps demanderait justement du temps, une latitude pour s'isoler, un partage pour que tu puisses trier les photographies et évidemment une connexion internet dont je n'avais pas eu certitude sur le site qui présentait l'appartement avec vue sur la lagune; et que venise, visitée pour la première fois, demanderait elle aussi du temps, pour la parcourir, en assimiler la géographie particulière et rendre compte de la biennale d'art contemporain qui à elle seule exigeait qu'on lui consacrât le week-end entier — l'ordinateur m'avait finalement manqué, pas tant vis-à-vis du blog que parce que venise, d'un canal à l'autre, appelait l'écriture et je m'en voulais pour la forme, sinon pour le fond

8.10.09

l'irrévérence



on assistait avec assiduité à la projection de films exigeants entouré d'un public issu presque à cent pour cent des centres d'art — j'oubliais à chaque fois combien les étudiants pouvaient faire preuve de peu de patience et de respect envers le travail d'autrui, sous couvert d'une joie de vivre égoïste dont nul autre ne pouvait saisir l'intelligente irrévérence dans leur esprit étroit, et je leur souhaitais un accueil comparable le jour où ils tenteraient de faire leurs preuves dans le monde impitoyable de la création, avec l'espoir qu'ils s'en mordraient alors les doigts, incapables de confesser à leur audience désinvolte qu'ils avaient été comme elle, méprisants, prétentieux, inutiles et tellement prévisibles

margaux szymkowicz, abus de joie, château d'avignon

6.10.09

les courriers



on recevait des courriers contradictoires des administrations, on échangeait des courriers avec accusé-réception avec un fournisseur d'accès internet qui n'était pas le nôtre mais réclamait cependant des factures impayées, on recevait des courriers relatifs aux abonnements que l'on avait souscrits par téléphone, selon lesquels il fallait soit rappeler pour confirmer, soit recommencer la manœuvre en ligne, l'information était doublée de courriers électroniques, de relances par sms ou d'appels qui contredisaient les accords que l'on avait passés la fois précédente, il fallait faire attention aux dates, ne pas tenir compte si, ne pas s'alarmer quand, il fallait réagir dans les vingt-quatre heures sous peine de service contentieux, de suspension de prestation ou de radiation définitive — je pensais aux personnes âgées et aux salariés suicidaires qui, comme moi, comme tout le monde, n'y comprenaient plus rien

4.10.09

les hauts et les bas



« he picked you up and let you down
just like you thought
just like you saw
just like you knew »
émilie simon, nothing to do with you

2.10.09

la flatterie



on me proposait une intervention à propos de la littérature numérique, on mettait en scène un texte que j'avais écrit quelques années auparavant, on m'invitait en résidence en belgique pour un mois, on m'offrait la publication d'un texte en anglais pour une parution en ligne en décembre, on me donnait de l'importance au fil du temps sur la base d'un travail qui cherchait encore une reconnaissance nécessaire — à moi, à lui —, on employait des mots qui me flattaient mais dont je m'interdisais d'être dupe quand je devais expliquer ce qu'il en était exactement, que l'on m'en fasse la demande ou que je l'initie par moi-même, et je me noyais tout seul dans des tirades épuisantes qui ne m'épargnaient pas, dont je sortais en sueur, avec l'impression paranoïaque de m'être desservi quand je n'avais fait que dire les choses comme elles étaient, mais avec d'autres mots qui eux, ne me flattaient pas