30.5.10

l'amont et l'aval



j'avais signé un contrat pour deux mois, qui avait été reconduit pour trois et qui me déposerait au cœur de l'été avec un mois de vacances — puisqu'il était de bon ton de se donner des limites — et une incertitude, j'avais retrouvé paris comme je l'avais connue, du moins avais-je la sensation de reproduire des gestes déjà accomplis mais avec une clairvoyance extrême sur leurs conséquences, je me glissais donc avec un mélange contradictoire de prudence et de confiance en moi (après tout, j'avais passé les quarante ans) dans une peau que je connaissais par cœur, mais dont la rugosité rappelait à chaque contact, nouveau ou ancien, que j'étais devenu un autre et dont l'intraitabilité laissait présager du pire, comme du meilleur, selon que l'on se place en amont ou en aval de ma ferme existence

wim delvoye, mamac, nice

26.5.10

les ponts



trois journées d'intense chaleur se terminaient sur un orage violent et une succession d'averses qui rendaient à paris sa fraîcheur printanière : je traversais le pont de l'archevêché à minuit, au dos de notre dame nocturne, puis le pont saint-louis pour m'arrêter chez berthillon où quatre italiens tentaient de prononcer le mot rhubarbe sans rire, je marquais une pause sur le pont louis-philippe avec une boule de sorbet ananas que je dégustais face à la seine dont le courant opposé faisait frémir les arbres sur les quais, la ville était désertée après l'été fugace qui avait accompagné la pentecôte et habillé les parisiens de shorts et de tongs, j'en avais aimé la surprise, mais davantage encore, j'aimais sa disparition

23.5.10

le bonheur



« j'ai pensé qu'il ne faut pas taire aux gens le bonheur qu'ils nous donnent »
vaclav jamek, traité des courtes merveilles

20.5.10

jérôme kerviel



je vivais à découvert, rééquilibrant en fin de mois lorsque la paye était versée à mon compte son solde débiteur pour quelques jours, je bénéficiais de conditions exceptionnelles — pas de loyer et un partenaire généreux —, travailler sur site permettait de ne pas dépenser un argent que je n'avais pas pendant presque dix heures d'affilée, mais je craquais parfois pendant ma pause-déjeuner, à la faveur d'un pull over marine que je me convainquais d'avoir besoin, et dont j'achetais l'exacte copie, en gris, le lendemain, de baskets à bandes jaunes fluo ou de places de spectacle que je réservais en ligne en fermant les yeux, en prenant soin d'oublier le geste immédiatement après l'avoir fait, un peu comme jérôme kerviel, interrogé à l'occasion de la parution de son livre, avec lequel je partageais finalement beaucoup

14.5.10

le jeté à l'eau



j'étais armé face aux refus, du moins je le croyais : lorsque l'on me posait la question de l'envoi de manuscrits — mais cela s'appliquait à tout envoi relatif à la littérature, dossiers de résidence ou participation à des concours de nouvelles — j'expliquais qu'il fallait être en état d'en accepter le possible retour négatif, condition sans laquelle le geste s'apparentait à un jeté à l'eau sans bouée de sauvetage auquel on survivait en battant des bras contre la nature indifférente, en buvant tellement la tasse que l'on finissait par s'enfoncer, lesté par son propre trop-plein, on échouait sous la couette par une après-midi grise en se faisant violence pour ne pas s'abrutir de sommeil, on s'en voulait alors, d'être faible ou mauvais, de s'apitoyer sur son sort ou de s'en relever pour continuer à écrire, parce que, oui, contre vents et marées, on allait continuer

13.5.10

le doute



je croisais un chat roux dans l'escalier, qui disparaissait par la porte ouverte en permanence de l'appartement qui faisait face à celui que j'occupais, j'apprenais que le chat déterrait les plantes au dernier étage et se faisait les griffes sur les poubelles abandonnées sur les paliers — tu me racontais une chose équivalente —, je remarquais ensuite que le cumulus perdait de l'eau, à raison d'une goutte hasardeuse qui avait eu le malheur d'atterrir sur le bas de mon dos, et j'en surveillais la fréquence avec une pointe d'appréhension — tu attendais le plombier pour un problème de fuite —, je découvrais un matin en buvant mon café à l'angle de charonne que la rue parallèle à la mienne était la rue de nice : petite pierre contre rocher, il n'y avait plus de doute, il se passait quelque chose

10.5.10

la rue de la petite pierre



je posais mes affaires dans le 11ème arrondissement, ainsi que les courses que j'avais faites plus tôt dans une épicerie chinoise le long du canal de l'ourcq et qui constitueraient le premier repas, sommaire et voulu comme tel, que je prenais face à l'écran de mon ordinateur et à l'éclairage orangé de la rue de la petite pierre, livres et disques m'entouraient de toutes parts, jusque dans la salle de bains, en piles aventureuses qui gravissaient le carrelage face à la douche, et je m'enfermais avec satisfaction dans cette aire de travail inédite et inspirée qui allait m'accueillir pour une semaine, en mesurant la chance que j'avais, d'avoir des amis d'abord, et de l'opportunité qui m'était donnée de faire à nouveau mes preuves — j'avais quarante-deux ans et sinon une nouvelle vie, du moins une nouvelle chance

7.5.10

la coquille



j'avalais au déjeuner plusieurs morceaux de coquille d'œuf, que j'avais négligé de retirer à la cuisson et que j'avais pourtant vus tomber dans la poêle alors que je cassais les œufs d'une main sûre, professionnelle, je me remémorais la possibilité médicale, apprise il y a longtemps, que le fragment s'enkyste ou progresse vers l'appendice, entraînant son inflammation et les complications que l'on connaît, et je souffrais presque immédiatement des symptômes attendus, localisant la coquille à divers endroits de mon anatomie, de la gorge au bas-ventre, suivant la douleur que sa position ou son passage déclenchait, je décidais finalement d'accoucher des intrus dans un texte, rejoignant ainsi une phrase lue la veille comme quoi « seule, peut-être, l'écriture sera(it) ce qui sauve » — j'écrivais par faiblesse, manifestement

6.5.10

la fidélité



les cafés parisiens avaient cette particularité nouvelle qu'ils servaient sur demande des express à emporter dans des petits gobelets blancs, que les passants serraient dans leurs doigts engourdis — le froid était revenu — le long des rues de la ville, rejoignant, à moindre mesure, les demi-litres de boissons chaudes à l'américaine qui sillonnaient manhattan, on pouvait également y boire un verre de vin de son choix, et non pas uniquement en cave comme c'était le cas en province, variant d'une cuvée bon marché à un grand cru onéreux et y déjeuner typique à des tarifs raisonnables, je les fréquentais le matin, le midi, parfois le soir, savourant la richesse de l'offre qui m'était proposée mais, fidèle à mes habitudes, j'allais aux mêmes endroits et y commandais toujours la même chose

4.5.10

la récréation



autant une conversation unique — deux femmes qui parlaient ou la proposition unilatérale d’un échange téléphonique — me dérangeait lorsque j’écrivais, autant le brouhaha créé par l’ensemble des conversations d’un café m’enveloppait d’une douceur étrange où les voix se mêlaient, se chevauchaient, s’annulaient en somme, rendant inaudible la chose dite pour n’en garder que la rumeur, entrecoupée ça et là de pics sonores (un cri de bébé délaissé, un éclat de rire, un choc sur une table) et je calmais l’emportement qui m’avait questionné d’abord sur le choix du lieu pour me laisser aller à son atmosphère : les parents, après s’être débarrassés de leur progéniture à l’école, se retrouvaient le matin autour d’une tasse, formaient des groupes par affinités, riant, se confiant des secrets ou tombant amoureux, la récréation commençait