31.5.06

storm



la température a chuté presque immédiatement, la tempête s’est levée par-dessus son visage en prière et le plafond bas des nuages s’est perdu dans ses iris offerts, ses bras en croix, paumes ouvertes, ont accueilli les premières averses tandis que les rafales de vent balayaient de son front mat des vagues de cheveux clairs aveuglées par la foudre, la nuit noire a écrasé la ville et dans le fracas du tonnerre autour de son corps-écho, ce fut la tornade

30.5.06

les amis



tu as perdu beaucoup d'amis ou beaucoup d'amis t'ont perdu, beaucoup de gens qui te connaissaient ont perdu leur ami en toi, tu as caressé le projet de dédier un livre à ces pertes-là (mais tu as découvert par hasard qu'à la prochaine rentrée littéraire, quelqu'un t'avait précédé sur ce chemin-là, aussi ce projet que tu avais ne restera-t-il à jamais rien d'autre qu'un projet, si ce n'est ici), tu as cherché à savoir à chaque fois qui était coupable, c'est un de tes grands classiques : te sentir obligatoirement coupable de tout, et devoir absolument réparer, rattraper le coup, excuser ou t'excuser, tu as donné nombre de deuxièmes chances, et de troisièmes, tu as rarement de toi-même arrêté les frais, tu te souviens d'un garçon, un jour tu as décidé que c'en était trop, il représente une étape parce qu'avant lui, tu souriais encore, tu te ridiculisais, après ce garçon-là, tu t'es affiné dans la pratique de la perte des amis, tu as commencé à te dire que tu n'avais pas forcément d'efforts à faire, que les gens disparaissaient, d'une façon ou d'une autre, que cela ne servait à rien de chercher à savoir pourquoi, au fond il n'y avait jamais eu de surprises, les amis qui restaient ne t'enviaient pas, ils ne jalousaient pas cette chose que tu avais et qu'eux n'avaient pas, au bout du compte tu as compris que les amis qui restaient avaient eux aussi cette chose-là, rare, en eux, et que le garçon du début, celui qui avait déclenché le processus, ne l'avait jamais eue, pas plus que ceux d'avant, à qui tu souris encore parfois

28.5.06

l'écho



leur bouche se ferme l'une sur l'autre, les langues échappent, les lèvres rougies, mouillées, glissent, les mâchoires sont fortes, la barbe est sombre ici, de deux jours là, aux visages répondent des corps dont la virilité n'est pas à mettre en doute mais que la dimension des sexes qui bataillent affirme encore, superbe, inutilement, les joues descendent le long des torses aux mamelons érigés, elles se gonflent et se dégonflent dans des aspirations réciproques, préliminaires, la salive enduit les doigts, les écarts se creusent entre les globes pâles, les peaux luisent et les soupirs redoublent, tu fermes les yeux, tu refuses l'image, tu te concentres sur le plaisir que tu me donnes, et si je t'en veux en premier lieu de ne pas me suivre dans l'excitation du film, je comprends finalement que tu voudrais que ce ne soit plus l'acte qui me motive, à l'écran ou dans ce lit, mais qu'à l'amour que je te porte, son sentiment indubitable, fasse écho un désir que je ne ressens pas sans support, tu t'en désoles, tu jouis enfin quand mes yeux se ferment, se détournent du fantasme, et, le sperme en pellicule blanche sur mon ventre et ma poitrine, je fige le corps des acteurs dans une étreinte sans fin, une pose impossible qui gèle leur ardeur, interdit leur jouissance

27.5.06

collection






collection n.f. (lat. collectio, de colligere, réunir) : réunion d'objets choisis pour leur beauté, leur rareté, leur caractère curieux, leur valeur documentaire ou leur prix.

26.5.06

red



l'amie s'est fanée entre ses bras, le crâne a hurlé depuis le dedans, le cri d'un nourrisson déchiré par le temps, puis ce fut le silence, et la folie muette, quand l'homme est venu elle ne s'est plus sentie seule, ils étaient deux à partager la mort des autres, et leurs pensées les plus intimes, elle a prié pour que la vie change, elle est tombée amoureuse, elle n'a pu faire le tri entre les désirs et l'amour, elle n'a pas cru suffisamment en lui, elle s'est jetée dans le combat pour faire taire les voix, l'eau s'est refermée sur elle, elle a courbé la tête
elle est revenue différente, une sérénité brûlante qui cachait un visage odieux, l'homme a proposé son aide une nouvelle fois, elle a souri à ses promesses comme on accepte le regard de tendresse d'un vieillard et qu'on y reconnaît un désir regretté, elle l'a laissé faire, cela n'a pas suffi, son amour à la charge elle a tué pour se faire haïr, comme rien ne l'éloignait, elle a pris les devants et lorsqu'elle a appuyé sur la gâchette, au moment précis où le silence définitif a vrillé ses tympans, elle l'a entendu penser qu'il l'aimait

25.5.06

hygiénique



on ne parle jamais des toilettes, on ne dit pas ce que l'on y fait, comment c'était, si ça a fait mal ou si c'était agréable au contraire, on ne dit pas les bruits, les odeurs, les sensations au passage, on dit par contre la morve, le vomi, le crachat et le sperme, on jouit, on se mouche, on se cure les oreilles et le nez, on se brosse les dents, on s'épile, on se coupe les ongles, on se douche, on se lave, on pisse, on va jusqu'à l'urine, on ne la dépasse pas, on gère les liquides mais on ne cherche pas à savoir ce que deviennent les solides, on ne prend pas en compte le métabolisme, la transformation des aliments, on ne prend pas en compte la machine, on ne garde de la nourriture que la notion de plaisir, on ne se dit pas que c'est un carburant, bien plus cher que l'essence des voitures et des avions, bien plus raffiné aussi, qui pourtant, à l'image des gaz d'échappement, se volatilisera en odeurs nauséabondes mais ne se contentera pas de cela, il générera des déchets, des excréments, de la merde inutilisable pour le corps, on dit la poubelle, l'action de jeter, on dit le détritus, la besogne ingrate du ramassage, on fronce les sourcils quand le personnel médical pose la question des selles, on touche à l'intime, au privé, on parle de ce dont on ne parle pas, on pince le nez, on ferme les yeux, on détourne la tête, on nie la réalité de la machine pour ne pas affronter la vérité du corps, sa triste fonction, sa date de péremption et la déréliction, inévitable

23.5.06

l'impatience

22.5.06

l'habitude



je quitte nice un samedi, je rejoins la capitale, je ne prévois rien, je préviens le strict minimum, les amis, rares, si à une autre époque, paris était synonyme de potentiel succès et de surprises, j'ai changé de ce côté-là et je n'attends plus rien de paris, je m'installe dans le marais, je bois mon café, je vais au cinéma, j'achète un cheesecake rue des rosiers, je soutiens le regard des hommes quand ils me désirent, j'écris mon journal dans l'arrière-salle des bars, je m'endors seul, à part ce dernier point de détail, important, je garde les habitudes

21.5.06

l'habitude : paris



habituellement, on est réveillé par la lumière du jour, on fait l'amour, inondé de soleil, je passe à la douche souvent avant toi pendant que tu prépares le thé, puis c'est ton tour, on déjeune debout sur un coin de comptoir, on s'habille, on hésite à prendre le sac mais on revient à la maison généralement après le café, pour aller aux toilettes
habituellement on a prévu un cinéma la veille, une séance avant midi ou une exposition, le plus tôt possible, pour éviter la cohue, on déjeune au hasard, on a nos endroits favoris mais on aime se laisser surprendre, habituellement on marche beaucoup, on fait des kilomètres, on ne prend le métro que lorsque c'est nécessaire, non pas que ça nous dérange, le métro, mais c'est une caractéristique que l'on a : on marche
habituellement j'ai un coup de blues, dans le courant de l'après-midi, mon visage se fige après le regard d'un homme sur moi, l'attaque d'un souvenir de ma vie d'avant toi ou la perspective d'un dîner que je souhaiterais différent, tu ne cherches pas à savoir, tu me demandes si je suis fatigué, il arrive que l'on rentre s'allonger -c'est souvent dans ces moments-là que je rejoins le journal
habituellement on achète un cheesecake dans le quartier juif que l'on savoure avec un thé fumé, quelle que soit l'heure et même si l'on sait que l'on va dîner peu de temps après, c'est souvent dans l'appartement que l'on se retrouve tous les quatre, on parle beaucoup, c'est vivant, pétillant et agité, tu zappes la télévision quand elles vont se coucher, la nuit nous avale vers trois, quatre heures du matin, habituellement c'est les vacances

20.5.06

l'habitude : nice



habituellement, on se lève vers neuf heures, rarement plus tard, on déjeune après la douche, j'avale un comprimé pendant que tu sers le thé, on s'habille, on boit un café sur l'avenue, je t'attends en terrasse pendant que tu fais le marché, que tu achètes des pommes, de la charcuterie et de la riquette, habituellement j'écris le journal pendant que tu fais la lessive, que tu cuisines ou que tu es sur l'ordinateur, à ton tour, quand je t'ai enfin laissé la place
habituellement, on fait l'amour dans l'après-midi, parfois le matin dans les brumes du réveil, on se douche une nouvelle fois ou je garde sur moi les traces de nos étreintes tandis que l'on marche vers une séance de cinéma ou un thé à la menthe
habituellement, la journée passe vite et la soirée nous assied devant la télévision pour une série hebdomadaire ou un dvd qui traîne depuis trop longtemps, on se couche vers minuit, il est rare que l'on se mette au lit plus tard, tu me souhaites de faire des beaux rêves, c'est un rituel qui aurait quelque chose de magique si mes nuits n'étaient pas peuplées de cauchemars, quels que soient tes mots ou la position de ton corps contre moi
habituellement la lumière reste allumée quand on s'endort

19.5.06

l'entêtement



tu te souviens du premier 33 tours, c'était à noël, un disque bleu, des façades d'immeuble, new-york peut-être, montréal sûrement, une comédie musicale que tu passais et repassais sur un pick-up blanc, tu disposais la baffle unique devant toi, tu regardais la musique, la voix des canadiennes qui montait dans la pièce, assis par terre, le carrelage dessinait les traits allongés de biches aux yeux noirs qui se rejoignaient par la truffe, toi seul les voyais, elles ne battaient leurs longs cils que pour toi, la famille les piétinait sans faire attention, tu t'excusais pour les autres
tu te souviens de la première cassette, c'était ton anniversaire, tu avais un radio-cassette noir avec les boutons sur le dessus, le chanteur français tirait la gueule sur le boîtier, il était carrément méchant, jamais content, on te disait que c'était comme toi, tu disais non à tout, aux adultes, tu n'étais jamais d'accord, tu ne voulais par partir, tu ne voulais pas voyager, tu ne voulais pas bouger de ta place vissée sur les tomettes, tu écoutais le chanteur sans plaisir en fixant le sol, tu savais que tu étais dans ton bon droit
tu regardes le salon, le ciel bleu par la fenêtre, tu prends l'avion demain, si tu pouvais, tu n'irais pas

16.5.06

le petit prince

je perds l'envie, c'est chronique, j'oublie que je peux vivre, que j'en ai le droit, je perds l'envie, je m'oublie peu à peu, je m'enferme en moi, je me réfugie sous la couette, je plonge, tu assistes, tu regardes, tu secoues la tête, c'est toi qui rallumes la lumière, tu me forces à regarder, tu dis : ouvre les yeux, tu dis qu'il faut partir, tu dis qu'il faut vivre, tu m'aimes et je retrouve l'envie


15.5.06

le poison



tu as des doutes mais tu sais qu'il ne faut pas, tu ne fais pas confiance à tes sentiments, tu leur tournes le dos sous prétexte que tu ne ressens plus leur effet, tu ne te souviens déjà plus des insomnies, de ton corps bousculé, des maux de tête et des larmes bloquées sous les paupières, que tu étouffais pour ne pas que le barrage cédât et qu'avec lui tu t'effondrasses, emporté, tu ne te souviens déjà plus des questions que tu as posées, celles que tu te posais alors et qui trouvaient soudain une réponse éclatante à tes yeux, tu lisais enfin la vérité, celle que tu subodorais, celle qui te ramenait à toi-même, à ce que tu étais vis-à-vis de toi-même, l'autre dans cette histoire n'était plus qu'un alibi à la haine que tu te vouais, tu retrouvais sous ses mots l'évidente lâcheté dont tu faisais preuve, et l'être dépourvu d'intérêt que tu savais que tu étais depuis le début -la raison pour laquelle, depuis le début j'insiste, tu t'étais voulu autre
tu as des doutes, tu relis les mots, les premiers et les seconds, tu voudrais que les seconds soient plus dignes de confiance que les premiers mais le poison est dans tes veines, et ta rancune la plus coriace, la plus odieuse, vient du fait qu'avec ces mots-là tu prends conscience que le mal est incurable parce que l'empoisonneur, depuis le début, c'était toi

13.5.06

13



je ne suis pas superstitieux, je ne crois pas aux chiffres porte-bonheur, je ne passe jamais sous les échelles, je ne jette pas de sel par-dessus mon épaule, j'ai un trèfle à quatre feuilles dans mon sac mais pas de fer à cheval autour du cou, je lis les horoscopes, je n'en tiens compte que lorsqu'ils sont positifs, je ne me signe pas, je ne crains pas les gousses d'ail, je ne suis pas religieux, je ne crois pas en dieu, je prends les parques à témoin et je vénère les divinités hellènes, je n'irai ni au ciel, ni en enfer, pour le purgatoire, j'ai déjà pris mon ticket d'entrée, le jour où je mourrai on apprendra à la radio que les cancers recevront une bonne nouvelle qui changera à jamais le cours de leur vie, je n'ai aucun humour, ça me perdra

11.5.06

le milieu



il pose à côté de l'œuvre, il écrit le journal, ses yeux surplombent le texte, il tourne le dos aux tableaux, il couve les écrits du regard, il peint dans un atelier, au sous-sol d'un immeuble bourgeois avec vue sur la mer, il écrit dans une chambre sans fenêtre, loin du balcon plein sud, il aime dire la prochaine exposition, il aime annoncer les publications, il s'en mord les doigts ensuite, il tourne les talons, il voudrait être ailleurs, il ne pourrait pas être ailleurs, il aimerait que son art lui survive, il aimerait être mort, il aimerait être reconnu, il n'aime pas qu'on lui en parle, il voudrait que les gens viennent lui chanter ses propres louanges, il aimerait que les critiques cessent de l'ignorer, il sait qu'il compte dans le paysage culturel, il sait qu'il comptera, il sait la qualité de ce qu'il fait, son importance, il n'a pas de doutes, il fait des crises parfois, il s'étend dans l'obscurité, il voudrait que ce soit plus facile, il est heureux de sa position unique, il n'est ni connu ni inconnu, il est entre les deux, une situation instable peut-être, mais il sait qu'un jour ou l'autre, il la regrettera

denis castellas, galerie catherine issert

9.5.06

l'autre côté



elle a rêvé de nombreuses fois qu'elle revenait à l'appartement, les années avaient passé, elle avait changé, elle sonnait à la porte, elle ne se demandait pas comment cela se faisait que rien ne se soit modifié après tant d'années, la plaque avec le nom de ses parents n'avait pas terni, la sonnette retentissait à l'identique de ses souvenirs, de même l'ascenseur, la cage d'escalier sombre ou le bois verni de la porte d'entrée, derrière l'œilleton on demandait ce que l'on voulait, elle répondait que c'était elle, parfois c'était son père derrière la porte close, parfois sa mère, dans son scénario la porte s'ouvrait invariablement et l'un comme l'autre s'effondrait en larmes en découvrant la magnifique femme qu'elle était devenue, c'était un rêve cinématographique, elle-même pleurait de bonheur dans ces retrouvailles artificielles, pour peu son frère vivrait encore à la maison et s'enthousiasmerait à la suite de ses géniteurs de la merveilleuse apparition, elle sait pourtant que dans la réalité, la porte resterait fermée et que si jamais elle s'ouvrait, ce ne serait pas des larmes de joie qui accueilleraient l'inconnue, mais le drame classique d'une famille dévastée par le chagrin, elle pleure encore quelquefois sur la scène idyllique, mais ce n'est plus la réaction des autres qui l'émeut, c'est davantage la perte de ce qu'elle était alors, innocente, absolutiste, convaincue, persuadée que le jour viendrait où elle trouverait le courage de franchir le cap et de passer de l'autre côté où, éternellement belle, elle s'attendra pour toujours

8.5.06

double



il écrit son journal depuis le mois de novembre 1998, il se souvient qu'il lisait anaïs nin alors, non pas qu'il s'en soit inspiré mais comme cela se produit régulièrement dans sa vie, les événements suivent ses lectures et inversement, il écrit le matin, de préférence, et quelquefois la nuit, il a rempli des centaines de pages depuis cette année 98, cela ne fait pas dix ans qu'il écrit son journal, la notion du temps, dans l'écriture, est une notion relativement étrange, il a l'impression qu'il a toujours écrit, parce qu'il a toujours fait cela : écrire, mais le journal, la discipline du journal, dans sa forme actuelle, il peut la dater, il classe son journal par année, même s'il est virtuel il lui est arrivé d'utiliser deux documents pour une même année, de peur de saturer les mémoires pourtant infinies de la machine, il craint parfois que les données ne disparaissent, il sait qu'il faudrait, au-delà des sauvegardes, imprimer les pages, il n'imagine pas pourtant ce qu'il ferait des centaines de pages une fois imprimées, il quantifie d'instinct les packs de cinq cents feuillets et les cartouches d'encre noire nécessaires, il prend peur devant la tâche à accomplir, et plus peur encore devant la tâche accomplie, comme robert de niro avalé par les feuilles de papier qu'il balaie dans brazil, il peut voir le journal à la place de lui-même, cette autre vie qui est sa vie et en même temps qui ne le sera jamais vraiment, il pense que la schizophrénie vient de là, que le journal, la nécessité du journal, est un signe de plus, non pas qu'il est un écrivain, mais qu'il est double, que son esprit est scindé en deux entités, l'une pense avec le cerveau et l'autre avec les doigts

7.5.06

spiderman

l'enfant est mort sans souffrir, il a fermé les yeux et ce fut fini
ne demeurent que des jouets inutiles, dans la tristesse d'une chambre aux volets fermés, ou le spiderman en mousse, ventouses aux pieds et aux mains, qui salue les passants depuis l'intérieur de la voiture, immortel, immobile, immuable

6.5.06

le passager



je n'ai pas eu peur quand l'avion s'est mis à trembler, je crois que j'attendais cela depuis toujours, je me suis juste un peu raidi, subrepticement, redressé sur mon siège, les mains bien à plat sur les accoudoirs, j'ai penché la tête vers l'avant, le regard en pointe aiguisée vers l'allée centrale, j'ai cherché des yeux les hôtesses, jeanpierre dormait de l'autre côté de l'allée, comme la plupart des passagers à cette heure tardive de la nuit, nous étions séparés l'un de l'autre, ce n'était pas la première fois, nous aurions au moins, cette fois-là, la possibilité de rejoindre nos mains s'il se produisait l'irréparable, l'avion a continué de tanguer, on aurait dit que nous roulions sur des rails encombrés, je me suis détendu alors que les gens se réveillaient en sursaut, qu'ils grommelaient entre panique et contrariété, mes muscles se sont relâchés entièrement, j'ai senti que quelque chose d'autre me remplissait, ce n'était plus la peur, c'était au contraire une sérénité détachée, j'ai compris ce qui se passait, l'avion n'était rien de plus qu'un passage de ma vie, le voyage ne serait rien de plus qu'un trajet qui pouvait à tout instant s'interrompre définitivement de même que mes minutes pouvaient à tout instant se terminer, vol agité ou pas, il s'est dessiné l'ombre d'un sourire mauvais sur mes lèvres, je savais à qui je ressemblais, c'est à ce moment-là que mes yeux ont croisé les yeux d'une hôtesse, elle a souri en retour, nous étions elle et moi exactement au même endroit alors, des professionnels

4.5.06

noir



«j'ai l'impression d'être un personnage vague, un peu flou, mal situé»
alberto giacometti, septembre 1963

2.5.06

le deuil

tu as perdu quatre mille photos, le disque-dur a fait le bruit étrange et inquiétant d'une bombe à retardement qui pouvait exploser à tout instant, et c'est exactement ce qui s'est produit, comme dans un épisode de mission impossible, la fumée blanche en moins, les données se sont auto-détruites, tu as tenté de les retrouver, tu as confié ta machine à des mains qui, quoique expertes, n'ont rien pu en tirer, tu as fait le deuil des images, des prises de vue de nos vacances, de ma jeunesse, de mes cheveux courts et de mon corps d'été, des mosaïques turquoises de la tunisie et des avenues enfumées de la grosse pomme, des rives du balaton et des vieilles portes de villequiers, tu n'as pas pleuré mais quelque chose en toi s'est verrouillé le jour où l'on t'a annoncé que l'on ne pourrait rien y faire, que les photos étaient bel et bien perdues, tu n'as plus touché ton appareil numérique, j'ai cru que ce serait définitif, comme un amant qui trahit repousse malgré lui la main qui le caressait, tu as tourné le dos au talent que tu as, le sens des lignes, tu as fermé les yeux sur ton œil unique, tu as fait mine de le vivre bien mais il y avait un trou dans ta mémoire, une lacune de quatre mille images que tu ne reverrais plus jamais, j'ai cherché alors à reconstruire ce qui était perdu, j'ai lancé des fils, j'ai animé la toile, j'ai récupéré sept photos, tu as souri quand je t'ai offert le cd pauvrement fourni le jour de noël, tu as pris ton appareil devant le sapin illuminé, et avec le plus beau des sourires, tu as fait une photographie

1.5.06

schizophrénie




je suis laurent herrou, je suis nina myers, je suis brenda chenowith, je suis claire fisher, je suis une identité fragmentée, je suis en morceaux, je suis la multitude des personnalités qui a conquis les territoires en friches de mon esprit, je suis schizophrène, je suis multiple, je suis en pièces détachées, je suis unique, je suis différent, je suis à la masse, je suis fou, je suis folle, je suis amoureux, je suis un homme, je suis henri, je suis omarjee, je suis marie, je suis une femme, je suis homosexuel, je suis malade, complètement malade, je suis avant-gardiste, je suis un écrivain, je suis laura, je suis un beau mec, je suis un sacré connard, je suis faux-cul, je suis sublime, je suis belle, je suis ava moore, je suis jill monroe, je suis ororo munroe, je suis vivien leigh, je suis au-delà de vous, je suis autre, je suis pareil, banal, tristement banal, je suis une écriture grise sur le fond blanc d'un blog, je suis les mots que vous lisez, je suis souriant quand vous regardez mon visage, mais ce n'est qu'un visage parmi d'autres et vous n'en voyez qu'un seul, je suis raven darkholme, j'avais douze ans, il y avait cette fête à l'école, costumée, j'ai revêtu le costume, j'ai laissé aller le bleu sur la peau, les cheveux ont viré au rouge, les yeux sont devenus jaunes, translucides, j'ai hésité, dans la salle de classe, en regardant vers la cour de récréation, je me suis dit qu'il y aurait une émeute, j'ai souri, j'ai pleuré aussitôt, je suis revenu à l'image attendue, je suis mystique, je suis diablo, je suis père, mère, fils et fille, je suis votre famille, je suis à l'intérieur de vous, je suis ellen ripley, je suis le cancer qui ronge vos entrailles, je suis vos peurs ancestrales, je suis au fond de vos regards, derrière les orbites, je suis le creuset osseux, crayeux qui vous hante, je suis le squelette, l'armature, je suis mort plusieurs fois, je suis le chaos, je suis le néant quand vous plongez dans le sommeil, quand vos yeux se ferment, quand vous sursautez soudain, le cœur battant, vous soupirez, vous changez de position, vous vous abîmez à nouveau, je suis là