30.4.09

avignon



on avait passé les remparts au sud de la cité, on avait continué droit devant soi avant de tourner à la carreterie, on avait arrêté la voiture à deux pas de l'oriflamme où l'on avait habité un été et de la petite saunerie où l'on logeait cette fois, derrière les murs orangés du palais des papes qui se dressait dans le bleu soutenu du printemps, on avait monté les marches millénaires vers les jardins avec au cœur la mémoire des cors quand les drapeaux flottent dans la nuit, avignon réveillait malgré soi des nostalgies d'enfances et de festivals, de noblesses et de servitudes, on y courbait la tête le long des rues pavées, humble et envieux, pour ne pas surtout s'y tordre les chevilles et pouvoir rejoindre le pont, à mi-chemin sur le rhône, où les beaux messieurs font comme ci

27.4.09

les refus



je recevais coup sur coup les refus de deux éditeurs et de ma candidature pour une résidence dans le nord, la pluie ne cessait pas et je regardais l'avenir d'un œil incertain, j'avais soudain le sentiment de n'être pas différent des chanteurs amateurs qui se faisaient dégommer aux casting de la télé-réalité, le cœur plein d'enthousiasme mais le talent au placard, incapables de faire preuve du moindre recul quant à leurs lacunes infranchissables et qui finiraient par en vouloir à la terre entière en s'entêtant à combler un vide qui n'existait pas ou bien pousseraient le jour le contre-ut dans les supermarchés et le soir venu tourneraient sans fin autour du plafonnier sans jamais s'y brûler les ailes

25.4.09

le grand loto de l'univers



l'électrophone à même le sol sur le carrelage brun de la salle à manger, le vinyle, sorti de sa pochette bleutée d'immeubles en contre-plongée, offrait ses sillons brillants au saphir de l'appareil et les voix de la troupe venaient se mêler aux rires des convives autour de la table dressée pour la fête, j'avais douze ans, je ne savais pas encore que je ne voyais que la surface d'un monde en technicolor et que l'envers du décor me réserverait quelques surprises, et si je n'avais pas tiré le bon numéro au grand loto de l'univers, le mal dans la peau pourtant, vif déjà à cet âge-là, me permettrait un jour d'être un artiste — je reprenais les couplets, les yeux noyés dans la nuit noire, dans l'espoir d'une étoile filante

john m. armleder, e hoi e, villa arson

24.4.09

la frite



on avait parfois des baisses de régime

21.4.09

la dissociation



« each morning, during this last phase of talbert's work at the institute, catherine austin was conscious of the increasing dissociation of the events around her »
j.g. ballard, the atrocity exhibition

19.4.09

la blonde et la brune



la mort avait revêtu, en l'espace de quelques heures, deux aspects diamétralement opposés, en la personne de deux jeunes femmes : la blonde témoignait d'une expérience paranormale qui, sous couvert de miracles médicaux à répétition, l'avait ramenée d'un tunnel de lumière baigné de spiritualité généreuse au moyen d'une corde qu'elle avait refusé de lâcher; la brune, aveugle de naissance, était assaillie, suite à une greffe de cornée réussie, de visions spectrales menaçantes qui guettaient les morts en partance vers un autre monde dont on ne saurait rien, sinon la terreur qu'il inspirait à ses victimes — je passais la nuit le dos droit et les yeux rivés sur les éclairs violents qui ouvraient le ciel en deux, étrangement partagé

roman signer, parapluie, palais de tokyo

16.4.09

les femmes fortes



on s'était fabriqué sur le modèle de femmes fortes, de tara king à emma peel, on avait grandi coincé entre jill monroe, kelly garrett et sabrina duncan, on s'était épanoui au contact de jamie sommers et de sarah connor, on avait culminé à l'adolescence dans la combinaison spatiale d'ellen ripley en prenant conscience qu'il n'y avait pas de place pour deux dans la navette, à moins d'avoir des super-pouvoirs, d'être un agent secret, un mutant ou de venir du futur, on s'était abîmé dans le miroir, à jamais cantonné au rôle d'alfred tate ou de jean-pierre stevens, on aurait beau remuer le nez de droite à gauche, rien n'y ferait, on avait compris alors qu'il n'y avait pas trente-six solutions et à défaut d'en devenir un, on avait décidé d'aimer les hommes

15.4.09

les petipesçons



« gorgomar avait mâchoiré les petipesçons :
les petipesçons l'ont mâchoiré »
andré martel, gorgomar

13.4.09

la gratuité



le conseil général offrait pendant trois jours la gratuité en un même lieu polyvalent, dont les multiples espaces étaient colonisés par les artistes à des heures qui se chevauchaient, forçant le spectateur à traverser une performance pour se rendre à un concert, des halls et des couloirs pour aboutir en cul-de-sac à la cinémathèque où, sans prêter attention à la projection, il rebroussait chemin, on s'interrogeait malgré soi sur la bienveillance d'une telle entreprise qui donnait à la culture des allures de foire, on la plébiscitait parce qu'elle permettait de voir huit courts métrages inédits — dont un gaspar noé bouleversant sur le sida — ou un quatuor engagé convoquer le frère animal et surprendre par sa présence inspirée sur la scène niçoise, on déplorait finalement une lacune que l'on ne cernait pas complètement et que le soleil brûlant du lendemain, gratuit lui aussi, tentait de faire oublier

10.4.09

la torture



l'attente renvoyait à cette époque où l'on rendait sa copie le lundi en espérant qu'elle serait corrigée le mardi, où l'on pestait au bout d'une semaine parce que l'on n'en savait toujours pas la note, où l'on s'impatientait parfois pendant un mois avant d'en avoir le résultat et où l'on était finalement déçu, persuadé d'avoir mieux fait ou d'être victime d'une intolérable injustice, et si l'enfance permettait cette illusion que le professeur retenait son travail en otage, le feuilletant chaque soir en savourant sa torture, juste pour faire enrager l'élève, l'âge adulte apportait son correctif réaliste et cruel que le silence des communications confirmait sans malice : on était mot parmi tant d'autres, et comme les autres on serait traité en temps utile

8.4.09

l'humour



on avait un problème avec les résultats du box office et les millions d'entrées que les films dits comiques affichaient, on ne se réjouissait ni pour le cinéma français comme les journalistes, ni pour les acteurs réalisateurs producteurs qui faisaient une morale populiste aux critiques en agitant leur portefeuille bien haut pour justifier de leur talent, on ne se détendait ni devant le sourire ultra-brite d'un espion franchouillard au caire, ni devant l'incompréhension linguistique d'un facteur lillois et d'un cadre du sud-est, on essayait pourtant, pendant quelques minutes pleines de bonne volonté, l'esprit tellement ouvert qu'il en devenait transparent, puis d'un commun accord on se ressaisissait avec les aventures de john steed et le sang froid d'emma peel, et cette alchimie subtile de la parole et du geste, vous savez, qu'on appelle l'humour

5.4.09

la question du temps



cinq années passaient sur l'écran de télévision et la question du temps ouvrait le bal, dont certains effets pouvaient être naturels, attendus quand d'autres racontaient une nouvelle histoire, construite sur quelque drame ou quelque heureuse surprise, cinq années ce n'était pourtant pas grand chose, doublées on obtenait une décade qui, multipliée par deux, trois ou cinq, résumait des vies, j'avais commencé à quadriller l'existence vers dix ans justement, appliquant la multiplication à ma propre personne et me rassurant d'autant, puis la distribuant aux gens autour de moi et en découvrant l'épouvantable vérité, je reprenais le calcul à l'envers, j'en réduisais l'exponentiel à son minimum pour m'offrir le maximum de temps, je comptais sur l'âge pour m'apporter sagesse et sérénité, au contraire de quoi cinq années s'envolaient dans un souffle, et cinq encore

3.4.09

paris en bouteille



on portait en soi une existence imaginaire, idéale, bâtie sur des si et des mais, on la nourrissait de ses fantasmes et de ses désirs, on la bourrait de mensonges comme on bourre une poupée de chiffon pour qu'elle approche au plus près l'apparence d'une vraie poupée mais on n'était pas dupe de soi-même, on ne la comparait pas à l'existence réelle, au quotidien, les deux vies cohabitaient mais n'entraient pas en concurrence, on se rassurait en projetant cette image de paris en bouteille qui terminait le dicton et que l'on pouvait admirer sans cesse, posée là sur une étagère, dépoussiérée chaque jour, en résistant à la pulsion de la saisir violemment, de la jeter au sol et de la piétiner avec hargne pour qu'il n'en reste rien