29.6.06

l'été



«la fiction ne guérit plus du réel, elle agonise et le réel la soigne»
david calvo, minuscules flocons de neige depuis dix minutes

28.6.06

les yeux dans les bleus



27.6.06

migraine



la tempe qui bat, ou bien est-ce le côté de la face, c'est une poigne de fer, un heaume trop lourd qui enserre le crâne, la lumière est insupportable, tu ne lèves pas les yeux, le mouvement oculaire est une épreuve, tu dissimules ta vision derrière tes paupières, et tes paupières derrière ta paume ouverte, c'est une visière qui empêche le mal de se répandre hors de toi, tu protèges les autres en te protégeant toi-même, tu sais que tu ne dois pas, malgré les exhortations, retirer la protection, la douleur emplirait ton cerveau comme une vague rouge, sanglante, brûlante, une lame de fond, d'occiput, qui dévasterait la terre -peut-être alors, te susurre-t-on sournoisement, la migraine fondrait-elle dans l'obscurité et avec elle, ta rage, insurmontable

26.6.06

réminiscence



j'avais cette habitude enfant, de plonger mon visage vers mon avant-bras, les lèvres un peu en avant, je caressais la peau, les muqueuses s'accrochaient parfois à la toison fine, un peu de salive, une odeur musquée se dégageait de moi, que j'aspirais doucement, comme on savoure la fumée d'un narguilé, entre les narines, filtrée, je tétais, disait ma mère, mes grands-parents me reprenaient à voix haute devant tout le monde, je le faisais devant la télé, parfois avant de m'endormir, je le faisais dans la voiture, à y réfléchir, ce n'était pas une histoire de peau parce que je me souviens que ça marchait aussi avec la manche droite de mes pull-overs, les petites peaux qui craquaient mes lèvres se prenaient dans la maille, j'aimais la sensation de traction, comme si ma bouche allait se déchirer par petits bouts, ce qui ne se produisait jamais, la peau lâchait avec un petit bruit inaudible et je reprenais mon manège, concentré ou absent, la résistance de mon avant-bras, la douceur de mes lèvres, la saveur de la salive, sa persistante fragrance, substitut évident d'un plaisir que je ne connaîtrais que des années plus tard -ou alors, un souvenir, antérieur, intérieur, universel

25.6.06

le report

j'ai toujours eu envie de faire l'amour, toujours j'ai eu envie de vos mains, de vos doigts, de vos sexes, de vos caresses, de vos désirs, de votre insatiabilité, j'ai toujours eu envie de me déshabiller, toujours eu envie de vous, de vous voir, de me montrer à vous, que nous jouissions
vous avez dit non à plusieurs reprises, en secouant la tête avec un rire léger, comme si ça n'avait pas d'importance, remettant à plus tard comme on déplace une séance de cinéma
parfois, mais ce fut rare, le désir m'a quitté
vous n'avez eu alors aucune pitié comme je n'avais, à vos yeux, aucune excuse

24.6.06

pride



la première fois, c'était paris, entre montparnasse et la bastille
la deuxième fois, marseille, la canebière sous le soleil
la troisième, cannes, on aurait dit un carnaval de quartier
la quatrième, nice, je t'ai rejoint en haussant les épaules
la cinquième fois, c'était à lyon, le cortège tournait étrangement en rond, comme un chien qui se mord la queue -c'était aussi la dernière

la première fois, c'était extraordinaire, une sensation de liberté nouvelle, épaule contre épaules rondes, musclées, viriles, possibles
la deuxième, tu marchais avec moi, on avait fait l'affiche, tu t'en souviens?
la troisième, je ne comprenais pas pourquoi ça n'avait pas lieu à nice
la quatrième, j'aurais préféré que ça n'ait pas eu lieu du tout
la cinquième fois, quand j'ai compris que ça tournait en rond, je me suis assis sur une fontaine et je les ai regardé tourner

la première fois, on n'est pas fier
on ne l'est pas davantage la deuxième, ni la troisième, on n'est pas fier la quatrième fois, la cinquième, on pense à autre chose, comme à n'importe quelle manifestation à laquelle on se rend en se disant que c'est bien d'y être mais que ce sera bien quand ce sera fini
on se dit qu'on est déjà fier, dans sa vie de tous les jours, qu'on a accompli quelque chose, personnellement, qu'on s'est imposé, qu'on a réussi, ou alors on ne se dit rien de tout ça, et on rentre chez soi la tête basse

la première fois, j'ai fini dans un bar
la deuxième, on a fini à l'hôtel
le troisième, on est rentré à la maison, la quatrième aussi, la cinquième tu n'étais pas là

la première fois que j'ai été fier, en vérité : j'avais oublié mon cartable dans la voiture et je pleurais dans la file d'élèves avant de rentrer dans la classe, mon père est apparu au bout du couloir, il tenait mon cartable à la main, je ne l'ai jamais oublié

23.6.06

le doute



tu n'es pas sûr de toi mais tu sais qu'il faut le faire, c'est plus qu'une intuition, tu sens profondément que c'est une nécessité, tu as peur bien entendu, mais tu exagères toujours un peu la portée des événements, et leurs conséquences, tu n'es pas sûr de toi tandis que l'heure approche, cela va être à nouveau une marche en aveugle, comme télécommandé, tu vas forcer ton esprit à ne pas réfléchir, tu passes en pilotage automatique, tu ne veux pas y penser consciemment -et tu comprends soudain que c'est là l'erreur que tu as toujours commise : à trop vouloir t'abstraire des événements, à trop vouloir t'épargner, tu ne profites pas de ce qui t'arrive, des sentiments les plus banals aux émotions les plus extrêmes, tu y assistes, spectateur de ta propre vie que tu chroniques ensuite dans un journal littéraire qui à son tour prend le pas sur ton existence
entre tes effacements volontaires et le temps donné à l'écriture, tu te demandes soudain à quel moment tu vis vraiment

21.6.06

les aigus

on roulait vers avignon, c'était une mauvaise période pour nous deux, il y avait quelqu'un d'autre dans ma tête, donc dans ta tête aussi, avec cette incroyable distorsion des choses qu'est l'infidélité, qui donne presque plus d'importance à l'amant pour le trompé que pour le trompeur, tu avais mis la radio, une chanson que j'aimais, trop aiguë pour moi, enfant ma mère me priait d'arrêter de chanter du kate bush quand nous partions en voyage, elle répétait que j'allais abîmer ma voix, à cette époque j'y arrivais, les harmoniques de la chanteuse s'accordaient à mon timbre, la chanson, je m'en souviens, “without you” reprise par mariah carey, montait dans les aigus, et moi, à la traîne, je peinais, visage congestionné, je tentais par tous les moyens de faire sortir le chant, le cri d'amour, mais enfoncé dans ma gorge, avalé de travers, bloqué, il refusait de jaillir et je restais sans toi sur le siège avant droit, et tu posais doucement la main sur mon épaule pour savoir pourquoi je pleurais

20.6.06

homonyme



«mon amie se sent mâle dans son corps»
ilan, 9 ans

19.6.06

la démission



tu as commencé à travailler parce que tu étais malheureux, tu as poussé la porte de l'employeur parce que tu n'avais plus d'argent, tu cherchais une indépendance que tu ne trouvais plus, tu avais besoin de rencontres, tu voulais que ton quotidien s'habille de nouvelles têtes, tu as été servi les deux premières années, tu as vu plus de gens en quelques mois que tu n'en avais jamais rencontrés, tu as reconnu de nombreux visages, des gens du quartier, des amis perdus de vue, même des membres de ta propre famille que la vie avait éloignés de ta route et qui ne savaient pas que tu travaillais là, la troisième année tu as commencé à mettre en doute l'entreprise, ton humeur a sensiblement changé, tu es devenu plus dur, plus cynique, tu as demandé un changement de poste que tu as obtenu et la quatrième année s'est passée relativement mieux (tu t'étais, il faut le préciser, cassé l'avant-bras au niveau du coude et tu avais bénéficié cette année-là de trois mois d'arrêt de travail), la cinquième année tu t'es mis à confondre les visages, tu tendais la main à de parfaits inconnus et tu ignorais maladroitement les connaissances que tu t'étais faites depuis ton embauche, tu as oublié les prénoms, tu t'es dit que tu avais besoin de vacances, tu en as pris, tu t'es demandé si c'était à nouveau le moment de changer de vie, de démissionner, mais quelque chose s'était installé en toi que tu ne soupçonnais pas et tu te mords les lèvres le matin en allant au boulot, en attendant que ça passe

18.6.06

les faits

j'ai publié deux livres, vendu mille deux cent trente-quatre exemplaires des deux confondus, écrit onze manuscrits, reçu quatre-vingt six refus en comptant ceux qui me furent envoyés pour les deux livres publiés, j'ai trois exemplaires du premier livre dans mon étagère, dont un qui t'est dédicacé, et deux exemplaires du deuxième, dont un dédicacé à un éditeur qui disait s'intéresser à mon travail et qui, après un nouveau refus, me l'a renvoyé avec le manuscrit refusé, j'ai trente-neuf ans dans deux semaines et la certitude que ça ne va pas s'arrêter là

17.6.06

l'origine

fétichisme et phobie se mettaient en place dès l'enfance, il m'en avait expliqué le processus, sensiblement le même, et je tentais de chercher aussi loin que possible ce qui était à l'origine de mon aversion, j'avais essayé à plusieurs reprises de remonter vers l'enfance, je pensais que la psychanalyse allait ouvrir une porte du passé que j'avais inconsciemment pris soin de verrouiller, je l'espérais en vérité, mais aucun secret ne revenait à la surface, aucun traumatisme auquel j'aurais pu imputer la phobie, je me projetais mentalement sous une table, mes yeux à hauteur de leurs pieds, j'essayais de comprendre pourquoi au lieu d'en rêver, je ne savais que détourner la tête quand, l'été venant, ils les exposaient sans complexe, un sourire aux lèvres, de liberté et de triomphe

16.6.06

la place




ta place, ma place, ce qu'il faut, ne faut pas, sourire, amusé, à la lecture des commentaires, témoin du déchaînement, l'orage passe contre le ciel noir et le soleil en rayons chauffe la nuque, ta place, ma place, l'ordinateur commun, le bureau et la chambre, le couple, la vie, la confiance, la trahison, vouloir que les mots disent, savoir qu'ils ne disent pas tout, chercher des réponses, créer un blog, communiquer, ne pas aimer, non plus, les jeux de mots, lire, écrire, commenter, continuer, uniques

13.6.06

futur

tu auras vingt-sept ans, une queue de cheval blonde et une fâcheuse tendance à dévaler l'escalier plutôt qu'à le descendre en silence, tu m'auras salué à plusieurs reprises, en connaissance de cause, en te demandant une fois ou deux si j'écrivais encore, tu habiteras l'appartement en face, sur le même palier, une nuit en rentrant d'une soirée tu me trouveras devant la porte, vieillard hébété, tu prendras les clés dans ma main, tu tourneras le verrou à ma place, tu m'aideras à entrer dans l'appartement, tu me laisseras dans le fauteuil bleu en me faisant promettre de ne pas hésiter à t'appeler si j'avais besoin de quoi que ce soit, tu te seras dit alors que tu passerais voir le lendemain si tout allait bien mais tu auras oublié de le faire, ou bien tu auras eu la flemme, le jour où, quelques mois plus tard, les brancardiers descendront mon corps recouvert d'un drap, tu secoueras la tête en te disant que la vie est moche -mais il t'attendra en bas, ton casque à son coude, et la pensée s'envolera à deux cent dix kilomètres à l'heure sur une autoroute brûlante

12.6.06

les bijoux



pendant des années, aucun bijou
pendant les années où l'homosexualité s'est faite jour, rien, aucune bague, aucun collier, aucun bracelet, pendant que la féminisation passait de l'intérieur du corps à l'extérieur, pendant le temps où l'adolescence a balancé ses doses massives d'hormones, imposant à la libido des indications contradictoires, contraires à ce que l'entourage pouvait accepter, rien, aucun signe particulier
son corps s'est allongé, ses cheveux ont bouclé brutalement, on a dit de lui qu'il était efféminé, on l'a mis en boîte à cause de cela, d'autres se sont inquiétés, lui ont posé des questions, mais à ses poignets, à ses doigts, autour de son cou, aucun indice, aucune confession, jamais
aujourd'hui que la voix est grave, aujourd'hui que la silhouette s'est masculinisée, aujourd'hui que la fille s'est réfugiée dans les pages de ses livres, dans les mots qui échappent, au quotidien, le tintement de l'argent le long de son bras viril et les reflets métalliques autour de ses phalanges lui rappellent ce qu'il a perdu et la douleur, en vrille incessante derrières ses yeux verts, aimante son visage au miroir infidèle, à la recherche vaine de quelqu'un qui n'existe pas

11.6.06

la vie dure



il faut une disponibilité d'esprit pour écrire, ce n'est pas qu'une question d'idées, ça n'a jamais été une question d'imagination, écrire demande une sérénité certaine mais ça ne veut pas dire qu'il faille être calme non plus, la sérénité dont je parle est une confiance, il faut une disponibilité des autres pour que l'écrivain puisse écrire, il faut des lecteurs, il faut des ordinateurs qui fonctionnent, il faut des machines infaillibles, il ne faut aucunement perdre son temps, il faut des éditeurs qui attendent, il faut des gens qui misent sur soi, il faut une demande, il ne faut pas que la demande soit agressive, il ne faut pas que la demande soit laxiste non plus, il faut un dosage savant d'attention à l'écrivain qui, ne l'oublions pas, ne sera rien d'autre, et toute sa vie, qu'un petit égoïste prétentieux avec une chance plus ou moins douteuse de se révéler un grand artiste posthume, auquel cas il aura eu raison de mener la vie dure à son entourage qui, pas plus que lui, n'aura profité de son succès

10.6.06

l'accord



la conversation a tourné autour du blog, ce que c'était, ce qu'on en avait fait, les réactions (ou leur absence), la cohérence, la qualité, ce qu'on allait en faire, ce qu'on pouvait en faire, vers quoi cela allait évoluer, vers quoi cela n'irait jamais, ce qu'on aimait chez les autres, ce qu'on n'aimait pas chez les autres, ce que les autres n'aimeraient jamais chez nous, les raisons pour lesquelles ils (les autres) ne se retrouvaient pas, ce qu'on apportait à l'édifice, la monstrueuse prétention que l'on avait et l'évidence que sans cela, le blog n'aurait pour nous aucun intérêt, la conversation a focalisé sur la dualité dans le blog, la relation artistique entre l'écrivain et le photographe, ce que cela disait de nous deux, ensemble, la façon dont cela suivait notre vie de couple, la façon dont cela s'éloignait aussi de nous deux, souvent, comment cela pouvait inventer une autre intimité, réelle ou fictive, la rencontre quotidienne entre le texte et l'image, improbable, décalée, voulue, la possibilité ou l'impossibilité que la rencontre ait lieu si nous deux n'existait plus, fatalement on en est arrivé à parler de la fin du blog, quand, comment, pourquoi ça devait s'arrêter et pourquoi ça s'arrêterait, on est tombé d'accord

9.6.06

christophe

«i need you, by me,
beside me, to guide me,
to hold me, to scold me,
cause when i'm bad
i'm so, so bad»
donna summer, last dance

6.6.06

666



«pleased to meet you
hope you guessed my name»
rolling stones, sympathy for the devil

5.6.06

la fierté



tu ne sais pas ce que c'est qu'être une fille, tu ne sais pas ce que c'est que grandir comme une fille, le regard de son père, tu n'imagines pas à quel point c'est important pour soi, petite fille, ce moment où le père prend conscience que l'on existe, tu ne sais pas ce que c'est que la fierté d'une fille quand son père la regarde enfin, quand il l'accepte, quand sa main se referme sur la sienne et qu'ils marchent ensemble, main dans la main, tu ne peux pas savoir ce que ça fait de lever les yeux vers la silhouette massive, la force des tendons et le sourire dans la mâchoire carrée, rien que pour soi, toi tu es un garçon, tu as grandi garçon et les garçons n'ont rien à prouver, la fierté des mères leur est acquise, c'est immédiat, les filles elles doivent faire leurs preuves, les filles doivent gagner la reconnaissance des pères, c'est un combat, c'est une lutte avec soi-même pour ne pas renoncer, c'est une victoire finalement, être fière de son père comme plus tard on sera fière de son fils, la fierté est un truc de fille, l'homme lui avance naïvement entre les femmes, innocent, orgueilleux

3.6.06

passer



il a déposé le livre longtemps après qu'il l'avait fini, il est resté fixé longtemps sur la page blanche après la dernière ligne, il a tourné la page suivante, la suivante encore, blanche sur blanche sur blanche, il savait qu'il n'y avait plus rien à lire mais il sentait que dans cette absence-là, le livre se poursuivait pourtant, il lui a fallu à peu près le même temps pour venir à bout des pages blanches qu'il lui en avait fallu pour lire le livre en entier, il lui a semblé que c'était la moindre des choses, à la fin de la vie, de donner du temps à la mort avant de passer à autre chose

2.6.06

l'alchimiste

sais-tu qui je suis à l'intérieur, quel démon, quel monstre? sais-tu qui je suis, dedans? sais-tu ce que je pense, ce que je peux penser quand tu n'es pas là, sais-tu quel projet je peux couver, quel feu je peux entretenir? sais-tu juste qui je suis, toi qui lis ces mots en souriant? sais-tu le mépris et la haine, sais-tu la violence que j'ai à ton égard, sais-tu de quoi je suis capable à ton endroit?
oui, tu sais et tu reviens chaque jour, tu te demandes ce qui t'attache à moi, mais au fond tu connais la réponse : le dégoût que tu t'inspires à toi-même, je le retiens, je le garde pour moi, je le transfigure, je le change, je le transforme, j'en fais de l'or -et tu lis, et tu ris, tu es léger, si léger