30.3.06

l'alias



jeanpierre affirmait que tu étais emmanuel quand de mon côté j'étais sûr du contraire, comme quoi la schizophrénie pouvait fonctionner et tes interventions ne desservaient pas le propos, on pouvait aller jusqu'à croire à une véritable folie qui te poussait à doubler ton écriture pour te mettre toi-même en contradiction
je disais que ce que tu proposais approchait l'art contemporain d'une manière subtile, je disais à jeanpierre que tu aurais pu juste annoncer une pause, prendre du recul, ce que n'importe qui d'autre aurait fait, mais basculer dans le film, laura, vertigo, blue velvet, il y avait là une totale implication cinématographique dans ta démarche -et soudain les mots champ / contrechamp prenaient une nouvelle signification
ma question visait évidemment à l'émotion que cela allait forcément provoquer chez toi et je t'invitais à ne pas la réprimer, à écrire (ailleurs, sur ton blog, sur d'autres blogs), à écrire la schizophrénie, à écrire la dépossession, à écrire qui tu étais et qui tu n'étais plus
je n'avais pas de conseil à te donner, tu avais la finesse nécessaire pour (sur)vivre (à) cette expérience -une condition quand même : il fallait renoncer aux amitiés, aux apostrophes, devenir (peut-être) la part sombre d'emmanuel, la barre était mise haut, il ne fallait pas lâcher, il y avait quelque chose à découvrir (de toi / de vous deux / de l'écriture même -du blog et au delà) à travers l'alias

29.3.06

l'heure d'hiver



tu ne savais jamais quelle date on était, tu te demandais le matin si on était mardi ou jeudi, le dimanche tu te levais pour aller travailler, tu ne savais jamais si on était en février ou en mars, les débuts et les fins de mois n'étaient pas des repères pour toi, bien au contraire ils te mettaient davantage encore face à tes propres faiblesses, ton incapacité à te situer dans le temps
tu lui avais demandé de rester à l'heure d'hiver
vous étiez allongés l'un auprès de l'autre, il était en train de reprogrammer le réveil pour le lendemain matin, tu lui avais dit que cette nouvelle heure ne te convenait pas, tu lui avais dit que tu voulais rester à l'heure d'hiver, tu avais extrapolé : tu rêvais d'une vie dans laquelle les heures et les dates n'auraient plus de signification, tu rêvais d'être capable -mais capable, l'étais-tu? incapable, tu savais déjà- de renoncer au calendrier, tu rêvais de ne plus calquer ton emploi du temps sur celui des autres, plusieurs fois (et évidemment le dimanche, puisqu'il n'y avait pas d'horaire ce jour-là) vous aviez déjeuné dans l'après-midi alors que le soleil déclinait, vous aviez renoncé au dîner ensuite, tu avais eu envie alors de ne pas dormir, de décaler ta vie, et sa vie avec la tienne, tu te rappelais (tu lui racontais) qu'à paris, il t'arrivait de te réveiller au milieu de la nuit, tu faisais la cuisine, tu dînais, puis tu te préparais pour aller danser, tu rejoignais le travail directement le lendemain, les dimanches alors ne comptaient pas, pas plus que les jours de la semaine, tu te demandes soudain si ton fantasme de renoncer au temps, loin de l'extraordinaire révolution personnelle que tu imaginais qu'il fût, ne serait pas simplement une banale volonté de retourner en arrière, de rattraper le temps, justement, et si l'heure d'hiver que tu cherches à éconduire ne serait rien d'autre que l'annonce de ton propre hiver, à quelques années devant toi, qui te toise en riant, immortel

28.3.06

dominique



mardi, 10h30

27.3.06

4400



vendredi, 20h50

26.3.06

rendez-vous



«nous avions rendez-vous
au jardin botanique
en pensant à vous
j'attendais encore
mais je ne savais pas
que vous étiez mort»
katerine, in nom de code : sacha

24.3.06

l'image

il ne sortait jamais sans un livre, c'était devenu plus qu'une habitude : une nécessité, il arpentait les rues, le livre serré contre la poitrine entre ses bras croisés, à la manière d'une petite vieille ou d'un très jeune enfant, il le tenait contre lui, comme un objet cher, d'une valeur inestimable, une relique sacrée, quelque chose qu'il ne pouvait se permettre de perdre ou d'endommager, il protégeait le livre tout autant que le livre, son caractère magique, mystérieux, le protégeait, amulette inédite, les gens le regardaient passer avec un sourire, il se demandait parfois ce que l'on dirait de lui s'il venait à mourir, il se demandait quelle image ils garderaient de lui dans le quartier et c'était inévitablement cette image-là qui s'imposait alors : celle d'un homme-enfant aux bras serrés contre lui, le front plissé, sérieux comme on l'est à quatre ans quand on est investi de la mission importante de porter les assiettes jusqu'à la table de la salle à manger, lorsque l'on sait que la moindre distraction pourrait vous être fatale et vous priver à jamais de la fierté des adultes

22.3.06

la proie des âmes





le livre s'intitulait le non-consommateur, j'ai jeté un œil intéressé, la couverture figurait une jeune fille floue, qui aurait pu être un jeune garçon, quelque chose d'androgyne, un peu alter-mondialiste, histoire que tout un pan de la population puisse s'y identifier facilement, j'ai baissé le regard vers le sous-titre, comment le consommateur reprend le pouvoir, il y avait une évidente contradiction, d'un côté on était non-consommateur (dans le sens no logo, a précisé le représentant) et en même temps voilà qu'on l'était à nouveau, on changeait de statut dans l'espace flou androgyne entre le titre et le sous-titre, j'ai dit qu'il y avait quand même un truc pas clair là, le représentant a argumenté qu'il connaissait des tas de gens qui n'avaient plus les moyens de consommer et qui se réfugiaient dans des discount de tous ordres, j'ai répliqué que moi je connaissais des tas de gens qui avaient les moyens de consommer et qui justement parce qu'ils en avaient les moyens, en profitaient pour faire des affaires en consommant dix fois plus dans les discount en question, je n'ai pas ajouté que ces gens-là se définiraient sans doute comme des non-consommateurs, des alter-mondialistes, des révolutionnaires, qu'ils se reconnaîtraient certainement dans l'image floue que leur offrait la couverture du livre, j'ai pensé de mon côté à la couverture de la proie des âmes de matt ruff, une couverture brillante, glacée, qui refléterait le visage du consommateur, lui renverrait son regard impitoyable, les défauts d'un visage confortablement nourri (sa truffe?) accentués par le papier qui n'avait pas la qualité d'un vrai miroir, le mettrait réellement face à lui-même, en proie à son âme, à son propre jugement, je me suis dit qu'on était face à soi-même dans la consommation, qu'aucun livre ne dicterait jamais sa loi, qu'aucune politique, toute humanitaire qu'elle soit, ne viendrait à bout de la voracité sauvage des hommes, le représentant n'a pas sourcillé quand j'ai commandé trois exemplaires du non-consommateur, je ne me suis senti ni révolutionnaire, ni alter-mondialiste, un peu androgyne toujours, et flou certainement, côté politique, un vendeur dans une grande surface qui faisait son boulot placidement, un consommateur moyen avec des désirs de riche et une absence de moralité banale -la culpabilité est un luxe que les pauvres, discount ou non, ne s'offrent pas

21.3.06

dimanche

20.3.06

vivant



je ne me suis pas lavé samedi, je ne me suis pas lavé dimanche, je ne me suis pas lavé du week-end, je me suis lavé, la dernière fois, vendredi matin, j'ai pris une douche, j'ai hésité avant de mouiller mes cheveux, je ne savais pas si j'avais envie qu'ils frisent, je savais qu'une fois sous l'eau, ils allaient prendre ce pli définitif, qui n'est pas un pli mais une ondulation, j'ai pourtant mis la tête sous l'eau, peut-être que j'ai attaché les cheveux au sortir de la douche avec un élastique, pour les raidir une fois essorés, je ne me souviens plus, c'était vendredi, vendredi soir on est resté à la maison, samedi matin je ne me suis pas douché, je n'avais pas envie, je devais me raser mais là encore l'envie n'y était pas, le samedi s'est écoulé sans que je mette le pied dehors, le samedi soir on est resté à la maison, le dimanche matin, je ne me suis pas lavé, je ne suis pas passé sous la douche, j'ai hésité même à m'habiller, la veille j'avais fait un effort, même sale j'avais porté les vêtements de la veille, dimanche jeanpierre m'a proposé d'aller nous promener au bord de la mer, j'ai dit que je n'avais pas envie de me laver, c'était le milieu de l'après-midi, le vent soufflait, l'air de la mer s'est chargé de saler mes mèches raidies par deux jours sans eau, le vent se prenait dans la masse, recomposait les boucles violemment, jeanpierre a pris des photos splendides, je me suis allongé sur les galets, nice, j'ai regardé le ciel blanc, aveuglé par la luminosité, on est rentré à la maison avant la tombée de la nuit, je me suis déshabillé, jeanpierre a dit : tu ne vas pas te laver maintenant quand même? mais je n'en avais pas l'intention, on a regardé une série à la télé, et puis une autre, c'est fou le nombre de séries que l'on regarde le week-end, c'est fou ce que les gens sont beaux et bien habillés et bien coiffés dans les séries américaines, c'est fou ce que les gens sentent bon dans les séries américaines, c'est fou la différence qu'il y a entre les gens dans la télévision et les gens devant la télévision, c'est fou ce qu'on peut être vivant et ce qu'ils peuvent être morts

19.3.06

bon

«bon, dit-il.
alina attendit, mais ce fut tout : bon
john burnside, une vie nulle part

18.3.06

l'étreinte




la main tendue je caressais la tête du tigre, je croisais l'œil jaune, semblable à celui d'un serpent, j'y lisais une menace et une confiance égales, les deux sentiments se partageaient l'iris doré, s'y mêlaient intimement, hypnotisaient l'adversaire, je me suis mis à genoux, je n'avais pas peur des fauves, il y avait chez moi cette inconscience née de l'irresponsabilité, autant je redoutais les hommes autant les bêtes ne m'avaient jamais inspiré la moindre crainte, tout dangereux qu'ils pussent être, je pouvais enrouler la peau glacée d'un boa autour de mes épaules, lisser de la paume la carcasse argentée d'un squale, je n'étais pas impressionné par les dimensions fantastiques des baleines et des éléphants, je m'étendais auprès des félins et des ours depuis l'enfance, ils avaient dormi, bébés, sous les draps avec moi, nous avions échangé la chaleur de nos corps dans des étreintes déjà adultes alors que mon être s'éveillait à peine à la conscience, j'ai posé mon front contre la truffe chaude du tigre, il a soufflé comme on éternue, j'ai roulé sur le sol avec un éclat de rire tandis que la bête bondissait, m'immobilisait de son poids et attaquait ma chair avec frénésie, j'ai mordu à mon tour, le liquide brûlant a éclaboussé mes lèvres, j'ai enfoui le visage dans la fourrure, reconnaissant, j'ai cessé de lutter et l'animal s'est endormi, vidé

17.3.06

collection






collection n.f. (lat. collectio, de colligere, réunir) : réunion d'objets choisis pour leur beauté, leur rareté, leur caractère curieux, leur valeur documentaire ou leur prix.

15.3.06

anonyme

il est étonnant de voir combien votre nouvelle photographie, jeanpierre, parvient à la fois à détourner la vision que l'on a de soi-même (le reflet en quelque sorte) et à faire brillamment écho à la magnifique chanson de kate bush que vous immortalisez subtilement, vous permettant l'audace de l'ellipse d'une partie du titre pour le faire vôtre -magnifiquement "invisible"
votre invisibilité justement (car c'est à vous, n'est-ce-pas, qu'appartiennent ces splendides chaussures?) s'efface le temps de ce post sobre et cultivé, votre invisibilité gomme, l'espace d'un instant, l'omniprésence égocentrique (quoique anatomiquement parfaite, comprenez-moi bien) de l'auteur qui vous accompagne quotidiennement dans la création -j'ose vous demander : dans la vie également?
votre emploi du temps, depuis ce jour béni de février 2006 où vous commençâtes, est devenu aussi le mien
pour cela (et en attendant/espérant? davantage), mes sincères remerciements

14.3.06

invisible



«i found a book on how to be invisible»
kate bush, in aerial/a sea of honey

12.3.06

vanité

11.3.06

je me suis penché, le soleil battait mes omoplates, il y traçait des lignes rouges, des idéogrammes inconnus, j'ai caressé du bout des doigts la poudre brillante, je ne croyais pas aux légendes, les superstitions, je laissais cela aux femmes, le cristal a adhéré à ma peau, il a jeté des éclairs furieux vers le ciel blanc, j'ai plissé les yeux, entrouvert les lèvres, dardé la pointe de ma langue qui a mouillé la pulpe de mon index, la saveur inédite a piqué mon palais, je crois que j'ai souri
— que fais-tu, tan zhengde? a questionné ma sœur, curieuse
elle a ramené sa longue natte sur son épaule, ses yeux plongés dans les miens
— rentrons à putian… j'ai seulement répondu en tournant le dos à la mer

10.3.06

le plaisir



j'avais onze ans, douze peut-être, j'espérais comprendre, j'espérais, pantalon baissé, visage baissé, le regard fixé entre mes jambes, que les années passeraient vite, j'espérais des transformations, je me demandais si l'on se rendait compte un jour que, de l'enfant que l'on avait été, on était devenu un homme, je croyais, à la nuit tombée, que le jour suivant produirait la transformation, j'invoquais des puissances divines ou infernales, je tissais mon destin de motifs mythologiques, je disais les noms des parques, des nymphes, des muses, j'apprenais les langues mortes, je fuyais les autres, je me réfugiais aux toilettes, je fermais la porte à clé, conscient des images que je faisais naître dans l'esprit des miens, qui se vérifiaient quand mes larmes se mêlaient à d'autres humeurs et que je maudissais le plaisir qui accompagnait la jouissance, embuait mes émotions, endormait mes rêves et me déposait, consentant, au seuil de l'âge adulte

9.3.06

le meilleur moment

tu ne sais jamais à l'avance si un livre va te plaire ou non, hormis deux ou trois auteurs pour l'écriture desquels tu renierais père et mère, tu ne sais jamais, au moment du choix, si ça va être le bon, tu t'approches de la bibliothèque, tu gardes des piles de livres que tu accumules au fil des ans jusqu'à en oublier l'existence-même, parfois tu t'étonnes de la présence d'untel, de celui-là (tu l'avais donc acquis?), tu te mets sur la pointe des pieds pour atteindre la rangée du haut, tu tires au hasard, tu glisses un doigt excité sur la tranche des poches, plus bas ce sont les grands formats, on t'a déjà demandé si tu classais ta bibliothèque, et si oui dans quel ordre, alphabétique ou par collection, tu as répondu que tu ne classais pas, que tu ne savais pas classer, tu ne savais pas ranger les livres, les écrire oui, les lire parfois, mais pas systématiquement : il y a des livres que tu ne peux pas lire, c'est une incapacité véritable, les jeter aussi, de rage, de jalousie ou de frayeur, les regarder rebondir sur le mur opposé, les fouler du pied comme on le ferait du visage haï du meurtrier auquel, par un retournement de situation inespéré, une ruade vitale, on a miraculeusement échappé, tu repousses le moment du choix, c'est une caractéristique que tu as : tu ne sais pas choisir, c'est aussi parce que c'est le meilleur moment, entre le désir et l'acte, le fantasme de lire et la lecture elle-même, enthousiaste ou déçue, tu vas lire, c'est presque là, ça y est



«here is the best part of the song
where i admit that i might be wrong»
the organ, brother

8.3.06

libre



"disclaimer", pierre huyghe, musée d'art moderne, paris 2006

6.3.06

claire

il faut parfois un temps marqué entre le contact avec l'auteur et le contact avec son livre
il faut marquer un temps, entre le livre et le visage, les mots dits et les mots écrits
particulièrement lorsque l'on est écrivain soi-même
à quoi s'ajoute sans hésiter la connaissance possible dudit auteur -la «romancière»
il faut laisser passer du temps, il faut faire la différence
à midi vingt-deux, le six mars deux mille six, j'entre dans le livre, profite d'une semaine de vacances pour y trouver mes repères en prenant mon temps
le temps que j'ai

5.3.06

dimanche

4.3.06

裸のランチ

saxophone, festin nu, burroughs, musique, saxophone, jazz, ambiance, saxophone, tu ne sais pas ce que j'écoute, tu ne comprendrais pas, tu ne comprends pas ce que ça fait, d'avoir une machine à écrire à la place du cerveau, ne crois pas que c'est facile, à écouter, saxophone, pour écrire, j'ai dit un jour, tu as un prénom que je ne sais pas écrire, que je n'ose pas écrire, je t'ai dit : écrire sous musique comme on écrit sous influence, la drogue, ivresse, baudelaire, sachez que -vous ne pouvez pas, pouvez-vous?

2.3.06

regarde



«pour juger les œuvres, c'est de l'effet qu'elles produisent sur nous qu'il faut tenir compte au premier chef, et non pas de ce qu'on nous raconte à leur propos, sur le travail qu'elles ont coûté, par exemple, et sur les intentions de l'auteur -surtout si c'est lui qui parle»
renaud camus, les nuits de l'âme

1.3.06

litanie