31.3.10

la maison de paille



je cultivais une passion dévorante pour les contes de fées auxquels je me référais dans les moments les plus inattendus, les rappelant à moi quand des crapauds sortaient de ma bouche au lieu de l'or et des diamants que j'y avais précédemment placés ou quand le toit était emporté par le souffle d'un loup imaginaire sur ma maison de paille : nice me ramenait à l'enfance malgré moi, me tirant par les boucles que je n'avais plus, et je cherchais ma place dans le lit de la première chambre, qui n'était pas pour moi, puis dans la deuxième, qui ne me convenait pas non plus, avant de m'effondrer sur un matelas à ma taille, conscient que les batailles ne cesseraient jamais et que les contes de fées n'existaient pas

27.3.10

la profondeur



« je pense toujours que « connaître quelque chose par cœur » permet plus de profondeur que de voir de nouveaux sites, aussi splendides et intéressants soient-ils »
lucian freud, l'atelier

26.3.10

christian bobin



je rencontrais jean-louis étienne à la veille de sa nouvelle expédition scientifique au pôle nord, sur le site de l'assureur générationnellement responsable qui parrainait l'aventure pédagogique et humaine, et l'explorateur me confiait qu'il n'emporterait, pendant les dix jours que durerait la traversée en rozière — ballon, apprenais-je, gonflé doublement à l'hélium et à l'air chaud —, qu'un livre avec lui, et un seul, et je posais la question par réflexe, en redoutant immédiatement la réponse qui me surprenait pourtant, même si, en y regardant de plus près, l'autobiographie au radiateur ne pouvait qu'être de bonne compagnie en de pareilles circonstances

maison la roche, fondation le corbusier

22.3.10

la machine



j'occupais un bureau au rez-de-chaussée d'un espace ouvert où les informations fusaient d'un poste à l'autre, je m'intégrais progressivement, prenant soin de ne pas trop en dire, je laissais de côté l'écrivain pour ne mettre en avant que le rédacteur, je me tenais disponible à la tâche et, de bonne volonté, j'acceptais les contraintes, éditoriales comme horaires, je m'adaptais facilement, il suffisait d'être à l'écoute et j'avais été en manque de cette matière que le cerveau assimilait en un temps record et recrachait à sa façon, j'apprenais vite et beaucoup, je me surprenais parfois, quand un survol désintéressé de la documentation laissait des traces précises et utiles au travail demandé par la suite, je m'étais cru mort mais je n'étais qu'en latence, il suffisait d'actionner le bon interrupteur et la machine se réveillait

christian boltanski, personnes, grand palais

20.3.10

le cycle



je commençais à neuf heures trente, mais je me levais à sept et demie pour garder une prise sur mon quotidien et consacrer ce temps libre, même matinal, à l'écriture que j'embarquais devant un café crème et un pain au chocolat à l'angle de la rue des coutures saint gervais et de vieille du temple, je prenais la ligne 8 ou choisissais de me rendre dans le sentier à pieds d'où je revenais de la même façon, entre six et sept, suivant mon désir ou la météo, je m'arrêtais parfois pour boire un verre ou manger un morceau sur le chemin, entre montorgueil et le marais, puis je rejoignais mon ordinateur sous les toits de paris pour y raconter mon emploi du temps, je m'endormais vers une heure — et le cycle recommençait

15.3.10

les paysages



je racontais autour de verres de bière qui ne se vidaient jamais combien j'avais eu besoin des cinq heures et demie de train qui séparaient nice de paris, puis de l'heure et demie supplémentaire que je passais dans le thalys et que j'employais à mesurer la chance que j'avais de traverser ainsi les campagnes en regrettant immédiatement la ville que je laissais derrière moi et je repenserais à ces phrases dites au cœur de la nuit, qui m'avaient conquis un auditoire inattendu et attachant, en quittant à nouveau bruxelles pour la capitale française un dimanche à quatorze heures, conscient qu'il n'y avait aucune urgence à partir, seulement celle de regarder défiler les paysages en pensant à sa vie

10.3.10

le rythme du travail



avait-on si vite oublié le rythme du travail que les jours paraissaient brusquement à la fois plus courts et plus longs, dans cette capacité que l'on retrouvait à produire mille choses quand on n'en faisait que cent auparavant, puis trente, puis jamais plus de deux, et dans cet étourdissement qui saisissait dès le matin, et parfois même dans le creux éveillé d'un rêve, et précipitait les événements les uns contre les autres, leur donnant plus de relief dans le regret immédiat que l'on avait de leur perte et dans la faculté de savoir qu'une heure prochaine leur serait à nouveau bientôt consacrée — mais trop courte, encore une fois trop courte

4.3.10

le prisonnier



je berçais l'idée, toute effrayante qu'elle fût parfois, que la vie était une création de l'esprit, une chimère, un rêve continu où tout était absolument possible mais que l'on bridait en y imposant des règles, des limites et des culpabilités, et qui s'éteindrait brutalement, scellant définitivement les connexions du corps avec un extérieur qui n'existait pas mais dont la perception, unique pour chacun, passait physiquement par l'œil, le cerveau et les sens : une fois les organes morts, le rêve cessait aussi logiquement qu'il avait commencé et le prisonnier que l'on croyait être de soi-même ne s'en évadait pas davantage qu'il n'en avait jamais été captif, puisque l'on était tous à l'origine et à la fin de soi, l'alpha et l'oméga, le numéro un

claire morgan, a part at the seam, galerie karsten greve