30.12.09

la grande résolution



la grève des postes faisait naître en moi plusieurs réflexions : sur les conditions de travail des facteurs, que je n'enviais pas et auxquels j'apportais mon soutien de principe; sur la perfection d'un timing qui avait permis aux camionneurs en période de noël de voir leurs revendications satisfaites — comment en vouloir au suivant de tenter sa chance? —; sur les notions de services public et privé en france, mais j'apprenais que la boîte de chocolat que j'avais commandée en belgique le 10 décembre pour les états-unis avait été livrée à son destinataire le 29; enfin, et une fois encore, sur l'erreur primordiale que constituait l'attente quelle qu'elle soit, qui n'était généralement que source de frustration et dont je décidais, la grande résolution, et comme chaque année, de faire définitivement la peau

28.12.09

le miroir



je découvrais en y réfléchissant que les reproches que je te faisais lors de mes crises récurrentes m'étaient en fin de compte adressés et que si le silence que tu y opposais m'agaçait, c'était parce que tu n'y élevais aucune objection quand j'aurais tellement souhaité que tu m'en prouves le contraire : tu agissais dans ces moments-là avec toute la neutralité impitoyable d'un miroir dont le verre gardait la marque des coups que je lui portais alors même que je passais à autre chose, purgé de ma colère mensuelle comme d'autres se vident de leur mauvais sang, et je m'acharnais ensuite à briquer la glace pour qu'elle retrouve son éclat initial, avec plus ou moins de succès

26.12.09

l'attaque



mon grand-père avait lâché le magazine qu'il lisait avec une exclamation, il était médecin, il savait ce qui lui arrivait, il avait paniqué le temps bref que l'attaque avait duré, qui paralysait les centres nerveux responsables de la compréhension, lorsque la capacité de lire était revenue il avait accusé le coup comme je l'avais fait moi-même quand mon œil gauche avait perdu, avec la même instantanéité qu'elle était apparue, la guirlande lumineuse qui avait envahi mon champ de vision pendant dix minutes et m'accompagnait jusque dans l'obscurité, on avait bu une tisane brûlante pour fêter ça en dodelinant de la tête, il fallait faire la part des choses entre accident vasculaire cérébral et trop plein somatique : pour se changer les idées, il fallait auparavant changer sa façon de voir — il y avait un enseignement à tirer de l'anecdote

24.12.09

la lettre incroyable



j'avais été élevé à l'anglaise, aux sandwiches pain de mie et aux quality street, j'avais fait mon premier voyage à londres à quinze ans et j'y étais retourné presque chaque année, j'aimais la tamise, le croisement de charing cross road et de shaftesbury ave qui réussissait à me désorienter à chaque visite et les cartes de noël qui s'affichaient sur le marbre des cheminées ou sur une corde à linge tendue au milieu du salon, j'avais appris la poste avec le royal air mail et j'ouvrais ma boîte aux lettres avec excitation depuis lors mais on avait perdu quelque chose avec l'avènement de l'électronique et la raréfaction des distributions, les facteurs étaient anonymes comme nous le devenions aussi — je recevais à la veille du réveillon des vœux parsemés d'étoiles adressés de l'étranger à nos seuls deux prénoms et la lettre incroyable trônait près du sapin, unique

21.12.09

la fable écologique



j'assistais au cinéma à une fable écologique en trois dimensions, dont je me contentais d'une seule, où la nature vous choisissait autant que vous la choisissiez vous-même, une communication qui se tressait plus qu'elle ne se nouait entre l'homme et son environnement, j'avais la semaine précédente choisi le sapin qui ornait l'appartement dans le sens où mon œil s'était immédiatement arrêté sur un arbre particulier dont la couleur claire des épines le distinguait de ses congénères, je me posais la question a posteriori du libre arbitre du conifère, heureux de ne pas avoir dû le chevaucher pour l'entendre — le lendemain, dans une autre salle, une amie croisée par hasard déposait avec précaution un poisson rouge sur le siège à côté du sien tandis que son compagnon positionnait un sapin face à l'écran : james cameron faisait mouche

19.12.09

les conditions



la neige avait réussi l'exploit de résister au soleil constant de la journée sur quelques toits et quelques voitures et la ville, que l'on avait traversée en empruntant son axe principal, artère que l'on aurait à cette même époque plutôt fuie, semblait apaisée par le manteau qui s'y était déposé la nuit précédente, à gros flocons dodus et silencieux, et dont l'écho ouaté résonnait assez aux oreilles des hommes pour qu'ils baissent ensemble d'un ton et habillent leur visage d'un sourire d'enfant ravi, on surprenait des batailles de boules maigres au coin des trottoirs et des commentaires de saison, à croire que toutes les conditions étaient enfin réunies pour que noël soit conforme à ce que l'on attendait de lui — encore fallait-il en attendre quelque chose et être capable, si la chose se présentait, d'en accepter les termes, ce qui n'était pas mon cas

18.12.09

le noël russe



la coupure était survenue tandis qu'izzy passait son énième scanner et que l'on se préparait à affronter le froid inédit et à se rendre à un concert amical au bénéfice de l'enfance défavorisée, dix heures sonnaient le temps que l'on débranche les prises de courant à la bougie, rassure les voisins, enquête dans la rue et apprenne enfin que le délestage en raison de la surconsommation due aux fêtes durerait jusqu'à trois heures du matin — on s'interrogeait sur la dépense d'électricité de notre impasse qui comptait quatorze numéros face au noël russe qui s'affichait sur le tramway, les façades et les boules à facettes de la place masséna, sans compter les millions d'ampoules que la ville de nice offrait à ses habitants, en regardant le congélateur et l'appartement équilibrer leur température, un air de révolution en tête

17.12.09

l'armée des ombres



je dégustais mes cailles farcies les yeux dans le vide, en pensant à mon grand-père qui en raffolait et dont le souvenir ne me traversait pas souvent, pas plus que je ne le croisais dans mes rêves comme ça avait été le cas les premières années qui avaient suivi son décès, je rationalisais tristement, la bouche pleine, la fréquence des apparitions, mémorielles ou fantasmatiques, découvrant que l'on était adulte à l'image des enfants qui ne se rappelaient plus leurs premières expériences : on perdait quotidiennement des morceaux de soi qui revenaient parfois dans un flash, puis s'abîmaient à nouveau pour peut-être ne jamais plus se manifester et rejoindre, anéantis, l'armée des ombres qui ne nous hantaient plus

14.12.09

le sapin de noël



mon psychanalyste — désignation qu'il aurait sans doute réfutée et que moi-même j'employais à contre-cœur, conscient du caractère new age du terme thérapeute et de celui, excessif, de psychiatre, ce qu'il était pourtant — me donnait une statistique selon laquelle cinquante pour cent des gens haïssaient la période des fêtes, vingt-cinq pour cent la considéraient comme n'importe quel autre moment de l'année et vingt-cinq pour cent, dont je faisais partie, l'adoraient, mettant à jour une pathologie névrotique clairement en rapport avec le refus de sortir de l'enfance et j'ouvrais à l'identique la bouche et de grands yeux devant cette révélation qui n'en était pas une et le sapin de noël que tu avais décoré pour moi, qui occupait un quart du salon, me demandant bien à quoi pouvaient correspondre les trois quarts restants

12.12.09

le peu



trois expériences récentes me permettaient d'évaluer le repas moyen (un plat, un dessert, une bouteille de vin à quatre et un café) dans de bons restaurants niçois, mais pas les plus onéreux, à trente-cinq euros par tête et je me posais la question, un peu naïvement, certes, de la correspondance francs / euros, de la crise économique et de la baisse de la tva dans la restauration quand je tombai sur un article du quotidien vantant les mérites d'un établissement spécialisé dans la truffe qui offrait à telle date vingt-deux repas gastronomiques d'une valeur de quarante euros aux plus démunis, sans que l'on ne sache ni comment se ferait la sélection des convives, ni en quoi l'action du restaurateur réglait quoi que ce fût aux problèmes sus-cités — c'est un peu noël en somme, lisait-on, et ce peu-là n'était lui quantifié ni en francs, ni en euros

10.12.09

la persécution



il m'arrivait de m'étonner de choses évidentes que je comprenais brusquement, alors que j'y avais été confronté depuis l'enfance, comme ce petit homme au cinéma qui surfait sur une vague orange et jaune, armé d'une pioche qu'il lançait vers l'écran, et que j'avais enfin associé au nom de jean mineur, justifiant dans un éclair de clairvoyance tardive l'outil dont la présence allait jusque là de soi, sans interrogation aucune, à l'opposé je n'avais aucun doute quant à l'analyse que je faisais des films qui convoquaient la création, l'artiste et la schizophrénie, à croire que les choses les plus simples m'échapperaient toujours quand les plus ambiguës semblaient avoir élu domicile, sans invitation préalable, au fond de moi

7.12.09

la perte pure



j'avais de plus en plus le réflexe d'utiliser l'appareil photographique intégré de mon téléphone portable alors que l'on visitait des lieux inconnus, où je cherchais à fixer ton image dans le décor comme tu le faisais si souvent avec moi : ainsi le long des bureaux déserts des abattoirs, dont le silence glacial était rompu par l'éclat de quelques postes de télévision qui diffusaient des vidéos d'artistes, ou dans la galerie de la station, entre rorschach et méduse, mais si ton geste était artistique, je comprenais que le mien n'avait pour seul but que de t'immortaliser et je rejoignais, la technique aidant, les légions d'hommes et de femmes qui s'étaient accrochées à l'image comme on s'accroche à la vie — en pure perte

bruno pelassy, la station, nice

4.12.09

le défaut dans la cuirasse



je rencontrais le mercredi un spécialiste qui jetait un œil sévère sur ma pathologie particulière et le jeudi mon généraliste qui s'amusait devant un foie gras pressé aux figues de mon hypocondrie caractérisée, et j'étais en définitif confus, pareillement coupable et non-coupable d'un défaut dans la cuirasse, qu'il fût physique ou psychologique n'y changeant rien, et j'accablais la nuit durant l'anatomie qui me trahissait déjà, rappelant à mon souvenir les mille et un tracas du passé qui penchaient en faveur du second médecin quand ma dysurie chronique avait été au fil des ans parfois un motif de fierté, parfois le signe supposé d'une catastrophe interne — je ne souffrais, pratiquement, de rien, et c'était bien là tout ce qui comptait

2.12.09

les bleus



« cette époque m’exaspère souvent, c’est vrai »
françoise sagan, des bleus à l’âme