31.10.07

l'examen



on avait retroussé nos manches, on s'était levé à l'heure, on s'était demandé si on le faisait ou non, mais c'était l'occasion, on n'avait pas déjeuné, on ne s'était pas lavé non plus, ça avait un goût d'enfance, un goût d'école, un goût de réveil forcé avec le sommeil au coin des paupières et la peur au ventre, on avait serré le poing quand l'aiguille avait pénétré la peau, puis desserré alors que le sang remplissait les tubes à essai, il y aurait des résultats bientôt, on serait admis ou non, on poursuivrait le cursus ou on s'arrêterait là, ça ne dépendait pas de nous, le travail que l'on avait fait pour préparer l'examen était irréprochable, on avait fêté notre courage dans un café à proximité du laboratoire sans comparer nos notes, on révisait ensemble depuis des années, il n'y avait aucune raison que l'on échoue

24.10.07

la modestie



on avait poussé la porte du café des sports de nérondes, on avait marché jusqu'au comptoir où l'on avait commandé deux cafés, la fille derrière le bar avait demandé si on les souhaitait normaux ou comme d'habitude, on avait été surpris, c'est vrai qu'on l'aimait serré mais notre dernière commande dans ce café-là datait de l'été, on avait opiné en souriant, des clients nous saluaient chaleureusement, on s'était dit qu'on devait avoir quelque chose, on en avait eu la confirmation quelques jours plus tard à lyon en entrant deux matinées de suite dans le même café, la serveuse avait demandé si l'on prendrait comme la veille, on l'avait défiée d'un hochement de tête et elle avait récité sans erreur la commande, on s'était regardé médusés, on avait définitivement quelque chose d'unique — une veste à capuche vert pomme, pensais-je modestement

17.10.07

le binaire



on avait un fonctionnement binaire, à la manière des ordinateurs basiques, si j'étais sur internet, tu épluchais les journaux, si j'étais dans le salon, tu étais dans la chambre, si tu travaillais tes films, je lisais des livres, c'était en partie dû à l'absence de connexion sans fil, c'était de l'ordre du 0/1, si mon portable était connecté, le tien ne pouvait pas l'être et vice-versa, on ne remédiait pas à l'affaire, on se complaisait dans la situation équivoque qui nous donnait à l'un et à l'autre des excuses pour ne pas avancer sur nos projets respectifs, on se retrouvait à l'heure du repas et à l'heure du coucher, on s'entendait à merveille dans ces moments-là pour se dire que ça ne pouvait plus durer, qu'il fallait trouver une solution, et puis tu t'endormais et j'écrivais mon journal, ou bien tu regardais la télé et je vérifiais mes mails

13.10.07

la nouvelle vague



on avait garé la voiture entre une volkswagen blanche et un tacot indéfinissable, on allait voir des amis introduire un groupe reconnu sur la scène d'un théâtre de banlieue, c'était en soi un acte de résistance, se rendre dans ce quartier sensible uniquement pour une première partie, on avait quitté le concert pendant l'entracte et on avait rejoint la voiture qu'encerclait à présent une cinquantaine d'autres véhicules, il n'y avait pas de signalisation dans le parking et la vague suivante s'était déposée à la suite de l'autre sans se soucier d'un éventuel départ anticipé, on avait regardé le spectacle avec désolation, celui du parking d'abord, un peu abasourdis par l'incohérence humaine, puis une fois le chemin rebroussé, le groupe vedette qui faisait sacrement bien son job et on avait tapé des mains, philosophes, en attendant que ça passe

"on fait le mur…", espace de l'art concret, mouans sartoux

11.10.07

l'échéance



on avait peut-être repris trop vite, on avait des interrogations légitimes, on se demandait ce que l'on apportait de nouveau, après l'année au quotidien, on n'était pas certain que le retour soit une bonne idée même si on était conscient, chacun de son côté, d'avoir décalé subtilement le travail, de détonner par rapport à ce qui se faisait auparavant, on se disait qu'on était allé trop vite, qu'on n'avait pas pris le temps de réfléchir, tu avais dit : je crois que ça ne m'intéresse plus, et j'avais secoué la tête, tu m'avais demandé si je savais pourquoi j'avais voulu reprendre et si j'avais la réponse, je m'étais contenté de repousser l'échéance en pensant à demain

10.10.07

la farce



on avait la possibilité de considérer chaque jour comme un dimanche, dans la mesure où l'on n'avait plus d'horaires, plus d'obligations, plus de comptes à rendre puisque plus de travail, on se réveillait quand on se réveillait en se regardant d'abord comme des enfants coupables avant d'éclater de rire, à la manière de ceux qui ont fait une bonne farce, on sentait qu'il fallait en profiter parce que ça ne durerait pas toujours, on ne mettait pas de mot sur la cessation d'activité, du moins on n'en mettait plus, on ne se définissait pas dans la retraite ni dans le sabbatique, on avait juste la vie devant soi, du temps à n'en plus finir — ou qui ne finirait pas — et l'envie, naïve et puérile, d'en profiter

"nomade", jaume plensa

3.10.07

le sang-froid



on avait très vite envisagé le bronx, c'était la solution idéale, non seulement c'était moins cher que manhattan mais cela garantissait une vue décalée sur la ville, on n'avait pas d'autre appréhension que de devoir le dire aux gens qui ne manqueraient pas d'imaginer le pire, j'avais voulu tester l'annonce sur un ami américain qui travaillait dans la sécurité à washington mais au dernier moment j'avais eu peur de sa réaction, aussi l'avais-je prévenu qu'il était le premier à qui j'en parlais et que je n'étais pas certain de supporter un cri d'horreur, il avait manifesté un sang-froid absolu en me rappelant que l'on n'était une victime que dans la mesure où l'on agissait comme telle, on tenait notre parade, les gens n'en reviendraient pas de l'assurance que l'on affichait, le bronx, c'était l'amérique, l'ami avait raccroché en me recommandant d'être prudent quand même