6.5.06

le passager



je n'ai pas eu peur quand l'avion s'est mis à trembler, je crois que j'attendais cela depuis toujours, je me suis juste un peu raidi, subrepticement, redressé sur mon siège, les mains bien à plat sur les accoudoirs, j'ai penché la tête vers l'avant, le regard en pointe aiguisée vers l'allée centrale, j'ai cherché des yeux les hôtesses, jeanpierre dormait de l'autre côté de l'allée, comme la plupart des passagers à cette heure tardive de la nuit, nous étions séparés l'un de l'autre, ce n'était pas la première fois, nous aurions au moins, cette fois-là, la possibilité de rejoindre nos mains s'il se produisait l'irréparable, l'avion a continué de tanguer, on aurait dit que nous roulions sur des rails encombrés, je me suis détendu alors que les gens se réveillaient en sursaut, qu'ils grommelaient entre panique et contrariété, mes muscles se sont relâchés entièrement, j'ai senti que quelque chose d'autre me remplissait, ce n'était plus la peur, c'était au contraire une sérénité détachée, j'ai compris ce qui se passait, l'avion n'était rien de plus qu'un passage de ma vie, le voyage ne serait rien de plus qu'un trajet qui pouvait à tout instant s'interrompre définitivement de même que mes minutes pouvaient à tout instant se terminer, vol agité ou pas, il s'est dessiné l'ombre d'un sourire mauvais sur mes lèvres, je savais à qui je ressemblais, c'est à ce moment-là que mes yeux ont croisé les yeux d'une hôtesse, elle a souri en retour, nous étions elle et moi exactement au même endroit alors, des professionnels