29.3.06

l'heure d'hiver



tu ne savais jamais quelle date on était, tu te demandais le matin si on était mardi ou jeudi, le dimanche tu te levais pour aller travailler, tu ne savais jamais si on était en février ou en mars, les débuts et les fins de mois n'étaient pas des repères pour toi, bien au contraire ils te mettaient davantage encore face à tes propres faiblesses, ton incapacité à te situer dans le temps
tu lui avais demandé de rester à l'heure d'hiver
vous étiez allongés l'un auprès de l'autre, il était en train de reprogrammer le réveil pour le lendemain matin, tu lui avais dit que cette nouvelle heure ne te convenait pas, tu lui avais dit que tu voulais rester à l'heure d'hiver, tu avais extrapolé : tu rêvais d'une vie dans laquelle les heures et les dates n'auraient plus de signification, tu rêvais d'être capable -mais capable, l'étais-tu? incapable, tu savais déjà- de renoncer au calendrier, tu rêvais de ne plus calquer ton emploi du temps sur celui des autres, plusieurs fois (et évidemment le dimanche, puisqu'il n'y avait pas d'horaire ce jour-là) vous aviez déjeuné dans l'après-midi alors que le soleil déclinait, vous aviez renoncé au dîner ensuite, tu avais eu envie alors de ne pas dormir, de décaler ta vie, et sa vie avec la tienne, tu te rappelais (tu lui racontais) qu'à paris, il t'arrivait de te réveiller au milieu de la nuit, tu faisais la cuisine, tu dînais, puis tu te préparais pour aller danser, tu rejoignais le travail directement le lendemain, les dimanches alors ne comptaient pas, pas plus que les jours de la semaine, tu te demandes soudain si ton fantasme de renoncer au temps, loin de l'extraordinaire révolution personnelle que tu imaginais qu'il fût, ne serait pas simplement une banale volonté de retourner en arrière, de rattraper le temps, justement, et si l'heure d'hiver que tu cherches à éconduire ne serait rien d'autre que l'annonce de ton propre hiver, à quelques années devant toi, qui te toise en riant, immortel

6 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Au matin (5h) quand je pédale vers les cheminées industrielles qui trônent en milieu de marais, le soir (21h) quand face au couchant je rentre, cette heure en moins a déjà tout modifié, jusqu'à la netteté des chants d'oiseaux.
Les insomniaques pourtant s'étonnent rarement des bleuâtres transitions entre le jour le nuit, fut-ce un peu plus tard, fut-ce un peu plus tôt, c'est leur petit plaisir :)

23:24  
Anonymous Anonyme said...

merci pour votre blog

chaque note est pour moi un ravissement, à la manière de Lol V Stein, me ravit à moi-même

15:23  
Blogger jp/lh. said...

stop tiptoeing, christie, vous êtes la bienvenue à temps plein ;-)
et de l'emploi du temps à version exhib', les bleuâtres insomnies de jonas diffusent
lh.

18:06  
Anonymous Anonyme said...

Je ne sais comment dire toute l'admiration que suscite en moi ce texte magnifique et sa belle photo en miroir. Impression que L'Emploi du Temps a atteint une acmé émotionnelle et une vraie maturité. Je cherche depuis ce matin, comment exprimer les sentiments qui se bousculent confusément en moi. J'y suis revenue plusieurs fois dans la journée.
Votre billet a eu ce pouvoir là de rythmer mon propre temps. Quel sortilège !

22:12  
Anonymous Anonyme said...

mais oui moi aussi je reviens tout le temps

fascination de l'inconnu / connu

mon premier amour moi aussi j'ai été sa première amie

je ne vous connais pas, je veux dire, votre corps ni votre voix, et pourtant je pourrais presque écrire "je vous aime"

je ne le fais pas, tiptoeing

18:23  
Anonymous Anonyme said...

Encore une fois magnifique, nostalgique, mélancolique...et moi, très admiratif!

18:35  

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