la proie des âmes
le livre s'intitulait le non-consommateur, j'ai jeté un œil intéressé, la couverture figurait une jeune fille floue, qui aurait pu être un jeune garçon, quelque chose d'androgyne, un peu alter-mondialiste, histoire que tout un pan de la population puisse s'y identifier facilement, j'ai baissé le regard vers le sous-titre, comment le consommateur reprend le pouvoir, il y avait une évidente contradiction, d'un côté on était non-consommateur (dans le sens no logo, a précisé le représentant) et en même temps voilà qu'on l'était à nouveau, on changeait de statut dans l'espace flou androgyne entre le titre et le sous-titre, j'ai dit qu'il y avait quand même un truc pas clair là, le représentant a argumenté qu'il connaissait des tas de gens qui n'avaient plus les moyens de consommer et qui se réfugiaient dans des discount de tous ordres, j'ai répliqué que moi je connaissais des tas de gens qui avaient les moyens de consommer et qui justement parce qu'ils en avaient les moyens, en profitaient pour faire des affaires en consommant dix fois plus dans les discount en question, je n'ai pas ajouté que ces gens-là se définiraient sans doute comme des non-consommateurs, des alter-mondialistes, des révolutionnaires, qu'ils se reconnaîtraient certainement dans l'image floue que leur offrait la couverture du livre, j'ai pensé de mon côté à la couverture de la proie des âmes de matt ruff, une couverture brillante, glacée, qui refléterait le visage du consommateur, lui renverrait son regard impitoyable, les défauts d'un visage confortablement nourri (sa truffe?) accentués par le papier qui n'avait pas la qualité d'un vrai miroir, le mettrait réellement face à lui-même, en proie à son âme, à son propre jugement, je me suis dit qu'on était face à soi-même dans la consommation, qu'aucun livre ne dicterait jamais sa loi, qu'aucune politique, toute humanitaire qu'elle soit, ne viendrait à bout de la voracité sauvage des hommes, le représentant n'a pas sourcillé quand j'ai commandé trois exemplaires du non-consommateur, je ne me suis senti ni révolutionnaire, ni alter-mondialiste, un peu androgyne toujours, et flou certainement, côté politique, un vendeur dans une grande surface qui faisait son boulot placidement, un consommateur moyen avec des désirs de riche et une absence de moralité banale -la culpabilité est un luxe que les pauvres, discount ou non, ne s'offrent pas
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À parcourir aussi l'interview de Michel-Édouard Leclerc dans le numéro de Mars (n°8) du magazine "BRETONS"...
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