31.8.06

fantôme



on regardait la télévision d'un œil absent, un film de civeyrac que l'on croyait avoir vu, on s'endormait graduellement, non pas que le film ne fût pas intéressant mais il était tard, un visage avait attiré mon attention, que je n'avais pas rencontré depuis des années : dans la scène une femme passait de bras en bras, d'un homme souriant à un autre homme souriant, qui l'accueillait contre lui, l'ami d'avant était l'un d'entre eux, son rire m'était revenu brusquement, comme son expression carnassière et ses traits de loup s'animaient à l'écran, j'avais redressé la tête, j'avais prononcé le prénom comme on s'exclame au milieu d'une rue en reconnaissant quelqu'un, j'avais alors douté en entendant ma voix dire le prénom que ce fût vraiment le sien, et l'expression qui m'était apparue familière avait doucement rejoint les lacunes de ma mémoire, de sorte qu'en très peu de temps, l'ami d'avant était retourné dans les limbes d'où il était brièvement sorti et je m'étais endormi en paix

30.8.06

home



tu avais ouvert un œil, il t'avait fallu une seconde, qui t'avait paru une éternité, pour reconnaître la pièce, tes bras autour de l'oreiller, le visage encore enfoncé dans l'épaisseur du matelas, tu avais cherché à te remémorer l'étagère, la lampe et le cadre au mur, tu avais eu un instant de panique, immobile, paralysé, et puis c'était revenu : tu étais dans ton lit

29.8.06

l'ange



tu avais gratté des deux côtés, était-ce machinal ou instinctif, tu avais touché la peau sur les omoplates, en deux endroits symétriques, tes mains caressaient l'emplacement exact des racines des ailes, dussé-je être un ange c'est là que les ailes auraient poussé, tu avais choisi sans réfléchir peut-être, la position de tes mains sur moi et la peau de mon crâne se soulevait lentement, en deux petites bosses, pointues, symétriques elles aussi

28.8.06

le désir



le désir existait, le désir était là, le désir pour cette chose-là, honteuse, je le ressentais, je ressentais la passion, l'envie, une attirance vive, brutale, c'était en moi, en permanence, et puisque c'était en moi, c'était bien la preuve que cette chose-là avait un droit de s'exprimer, sinon le désir n'aurait pas existé, il ne se serait pas manifesté, il n'aurait pas eu sa place à l'intérieur de moi, et si je l'avais contré, si je m'en étais voulu, tellement que je n'en dormais pas, la poitrine opprimée, comprimée, étouffée par le combat à mort que je lui opposais, j'avais compris que c'était terminé, que le désir avait gagné et mon corps, gonflé de plaisir, rayonnait enfin

27.8.06

l'imparfait



le temps s'imposait, ce n'était pas prévu

26.8.06

le regret



tu travaillais à l'hôpital, tu prenais ton service à vingt-et une heures, tu devais pointer à l'entrée de l'établissement, c'était un moment de rencontre, tu te rendais compte alors que le milieu infirmier était essentiellement féminin et que les hommes de l'hôpital étaient vieux et usés, comme c'était les premières nuits que tu avais jamais passées seul, et libre, tu le regrettais, évidemment

25.8.06

les vacances



pendant les vacances, il avait pris de grandes décisions : non pas qu'il avait eu de grandes décisions à prendre, c'était plutôt les circonstances, la rupture avec le quotidien, qui l'avaient amené à se poser des questions, et les réponses qu'il en avait retirées, dont la limpidité et l'évidence lui crevaient à présent les yeux, n'étaient pas belles à regarder

24.8.06

la zone

22.8.06

l'expérience

tu ne pleurais pas souvent, sauf cette fois : tu sanglotais entre ses bras après le dîner, tu avais trop bu, il écrasait tes cris sous l'oreiller de peur que tu ne réveilles vos hôtes qui, le lendemain matin, l'œil inquiet, t'avaient demandé si tu allais mieux, tu avais répété en gémissant la phrase qu'elle t'avait dite, à propos de ses parents, qui l'accablait et qui, parce que tes parents et les siens partageaient de monstrueuses similitudes, t'accablait toi aussi, ses yeux dans tes yeux elle avait avant toi répété la phrase, pour qu'elle t'imprègne, pour que tu saches qu'un jour, dans les mêmes circonstances qu'elle, dans la même impuissance qu'elle, dans la même lucidité qu'elle, tes parents te la serviraient comme un plat que l'on mange froid -mais, grâce à elle, grâce à son expérience, tu serais prêt

21.8.06

la séance



pendant la séance, ses jambes étirées au maximum loin de moi cherchaient forcément à rencontrer celles du garçon qui s'était installé à deux sièges du sien tandis que sur l'écran, un japonais libidineux enfonçait ses doigts dans le sexe de sa secrétaire et droguait une artiste pour abuser d'elle, je prétextais que le film ne m'intéressait pas, je me levais et je quittais la salle

20.8.06

le rêve



dans le rêve, ses cheveux étaient à nouveau noirs et bouclés, son regard aiguisé illuminé par son sourire rare, et magnifique parce que rare justement, tu conduisais la voiture, nous étions tous les quatre, décapotable, le visage au vent, la route était sans obstacle et la destination, lointaine et inconnue

19.8.06

le prix



en arrivant à paris, j'étais monté en haut de la tour, j'avais été étonné, la ville s'étendait des quatre côtés, aucun repos pour l'œil, et au-delà des usines, des quartiers neufs et des aéroports, c'était la campagne, un vert sale qui n'inspirait pas, je recherchais la mer, un repère fuyant, j'espérais un horizon qui m'était refusé, j'avais manqué d'air malgré les rafales de vent, les larmes m'étaient venues aux yeux, j'avais troqué les palmiers et le bleu pour des bâtiments gris dominés par un échafaudage de foire début de siècle, la liberté coûtait cher

4.8.06

bon vent



«l'emploi du temps ordinaire de nos journées est devenu un rituel»
pascal morin, bon vent

3.8.06

le principe



«le principe du clonage est simple, bien que les manipulations soient délicates»
bertrand jordan, le clonage, fantasmes et réalité

1.8.06

new-york



il travaillait au cinquantième étage, son bureau donnait sur les tours, il recevait depuis quelques temps des courriers électroniques qu'il ne comprenait pas bien qu'ils lui fussent adressés, il était en france quand l'attentat avait eu lieu, pourtant, à de nombreuses reprises, le téléphone avait sonné à son domicile et celui de ses proches, pour déplorer sa perte, il avait beau expliquer que c'était une erreur, les gens pleuraient malgré tout, preuve à l'appui, disaient-ils, il avait fini par comprendre qu'il avait un homonyme, qui lui, travaillait dans les tours, qui était mort à sa place, emportant son patronyme dans la tombe, il n'était plus retourné à new-york, il disait que c'était parce que la ville avait changé mais la vérité était qu'homonyme ou pas, il était mort sur ce continent-là