l'agent secret
l'éditrice s'est tournée brusquement vers moi, elle exposait les qualités d'un premier roman qui allait paraître à la rentrée littéraire, elle a dit : un premier roman, c'est un moment exceptionnel, je ne sais pas quel souvenir vous en gardez vous-même… j'ai abondé dans son sens, surpris qu'elle s'adresse à l'auteur, même si je m'étais présenté comme tel à mon arrivée, puisque c'était le libraire qui était invité à la séance de communication autour de ses livres, je n'ai pas croisé le regard des autres libraires, c'était à la fois un sentiment de fierté et de honte qui se manifestait en moi, la sensation d'être reconnu par l'éditrice venait côtoyer celle d'être démasqué par les libraires, avec cette soudaine inadéquation de ma position autour de la table, le cul entre deux chaises bien que je fusse solidement vissé à la mienne, il a fallu quelques minutes pour que je retrouve le contrôle de mes pensées et la qualité d'écoute que je prêtais à la présentation, que j'ai quittée le premier, en apparence sûr de moi, conscient que les regards convergeaient vers ma silhouette écrasée de soleil, derrière des lunettes noires que j'aurais voulu mystérieuses et intimidantes, et qui, accessoire obligé des stars et des agents secrets, l'étaient peut-être
12 Comments:
Finalement le pixel n'est-il pas devenu plus efficace, plus propre, plus confortable que ce en quoi se mute le papier quand il vire produit ?
Parfois j'y songe et je soupire.
- J'avais pourtant laissé mes lunettes ici, j'en suis certain...
Victor sourit, imperceptiblement. Il se demanda ce qu'il préférait à cet instant précis. Voir les yeux de l'auteur, comme s'ils étaient nus, s'affoler au soleil ou bien savourer l'idée de porter le même regard que lui sur les choses, tout à l'heure, au moment de poser sur son nez la paire noire et énigmatique qui battait, un peu trop vite, contre son coeur...
le produit n'est pas une obligation : un peu à la manière des acteurs dont on dit qu'ils sont bankable, ce qui pourtant n'enlève rien à la perfection de leur jeu, le texte, papier ou pixel, est ce qu'il faut retenir -et sa publication est, qu'on l'admette ou non, une reconnaissance
lh.
ps : j'aime les miroirs, victor
C'est curieux Jonas, toi dont l'inspiration (pour que que j'en lis) est gorgée de sensualité, de matière, jusqu'à la saturation, que tu songes au texte devenu produit commercial, avant de penser à l'objet, le livre, à son poids dans la main, aux mains qui le prendront, l'abîmeront, l'useront. C'est sans doute là, entre-deux, qu'il est le plus beau.
Azure-Te => Ce serait comme au foot : excuser le pire au nom de la liesse de quelques uns. J'aimerais continuer de croire que le livre sera encore noble et sensuel dans nos prochains jours. Or le talent mieux que jamais reste le discret anagramme de "latent" : une sorte de graine que le papier ne ferait plus germer.
ça ne sera jamais comme au foot , jonas ;-)
au sujet du livre, le livre-objet, la sensualité, je suis comme azure, je ne peux pas imaginer que tu ne sois pas sensible, à l'entrée en librairie, à sa dimension -quelles que soient les piles inutiles qui jouxtent celui que tu attends
mais peut-être, dans nos cas d'exigence et d'écriture (je parle pour tous les trois, mais n'exclue personne), avons-nous besoin du passage par son propre premier livre pour en prendre pleinement conscience?
lh.
Dans notre foutoir du 6ème étage les deux objets les plus présents restent les livres et les galets que je cueille lors de mes promenades...
Bien entendu nous sommes de la génération qui encore écrivent vers le papier, vers la reliure, le lecteur à l'ancienne.
Je suis juste inquiet de ce que présagent, de ce qu'exigent, une édition, un éditeur. L'esprit promotionnel.
*qui écrit, gourdasse ! è_é
Oui Jonas, c'est bien ce qu'on avait cru comprendre (litote). Toutefois :
1) Tous les éditeurs ne sont pas les Éditions n°1 ou Robert Laffont (et même là, il y a des strates, différentes qualités d'éditeurs).
2) Tu n'es pas censé être au départ considéré comme un Houellebecq potentiel (et là, je crois que t'imaginer d'office comme un "produit" est peut-être un peu... mégalo, dirons-nous).
3) Il y a encore de la place pour différentes écritures, et lecteurs.
Et puis tout ça peut être beaucoup plus simple et plus heureux que tu ne le décris. Cela dit, je ne veux pas forcer/heurter tes réticences, ce sont les tiennes.
Azure-Te => Une centaine de visiteurs distincts paginent mon blog par jour. Soit quasi 36000 lectures par an. Un éditeur se contente d'une base rentable de 5000 ventes par publication. Rien de mégalomaniaque, crois-le bien : j'aurais été lu bien avant que d'être édité, et là il y a matière à réflexion. À commencer par savoir pourquoi l'on écrit...
l'éditeur, jonas, quand c'est un bon éditeur, ne se contente de rien, et c'est justement là la différence, entre le travail que demande le texte publié et la liberté inconditionnelle du blog : artiste et artisan, s'ils pratiquent le même art, sont-ils pour autant de la même veine, c'est-à-dire : animés par le même désir, la même volonté?
qui rejoint la question que tu poses, pourquoi l'on écrit
mais ce n'est plus un échange de commentaires qu'il faudrait pour répondre à cela, mais un verre (au moins) un soir d'orage, dans un café comme celui où azure a oublié son sac ;-)
lh.
Oui, Victor Lamb chez Henri-pierre en a proposé l'éventualité. Une sorte de tchinerie entre vieilles scribouilleuses ;P
(Quant à Azure, sa réapparition l'honore).
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