10.4.06

angoisse

j'ai commencé à la caserne, on m'en donnait un quart matin et soir, à l'infirmerie, je faisais partie des cas difficiles, la première nuit le sergent avait demandé aux gars de la chambrée de me surveiller au cas où je passerais par la fenêtre, je ne mangeais rien, je ne faisais même plus de cauchemars, la réalité était devenue mon cauchemar aussi je rejoignais le sommeil sans angoisse, sinon celle de me réveiller le lendemain matin
plus tard, ma mère a brandi la petite boîte verte, j'avais eu une crise violente suite à un conflit familial, je tremblais contre un mur, recroquevillé en boule, en sueurs, je ne voulais pas qu'ils approchent, mes parents, elle a ouvert la boîte, elle a juste dit : tiens
une fois, dans une voiture lancée à toute allure sur l'autoroute vers l'enterrement de ma grand-mère, mon frère m'a maîtrisé, il a écarté mes mâchoires de force et ma mère a fait glisser le comprimé, je crois que ce n'était plus un quart, mon état exigeait davantage, j'ai dormi toute la nuit, je me suis réveillé à concarneau, le port scintillait sous un soleil bleu
les cauchemars sont revenus peu de temps après le retour à nice, après la vie à paris, les cauchemars se sont installés dans mes nuits, comme la pression dans la cage thoracique et l'hypocondrie, les filles m'ont dit de ne pas hésiter, on était au restaurant italien, toujours le même, elles m'ont conseillé de ne pas résister, d'en prendre un quart, elles ont dit : à quoi bon te faire du mal?
dans l'avion pour new-york, j'ai gardé la boîte verte dans ma paume, je ne l'ai pas ouverte, ni à l'aller, ni au retour, je me suis trouvé fort à chacun des deux atterrissages, fier de moi, de ma résistance
la boîte verte est dans mon sac, au quotidien
ce soir, nécessaire



«il est deux sortes d'angoisse, la lumineuse et l'amère. la première ne cesse de grandir et s'étend jusqu'à ce qu'elle éclate. la seconde se ratatine et se dessèche. c'est cette angoisse amère qui transforme les êtres en momies, la lumineuse en fait des poètes.»
elias canetti

6 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Le meilleur de la boîte, c'est la petite capsule verte qu'elle a attachée au cul. Que l'on transporte et multiplie. J'en retrouve partout, dans la boîte à gants, dans les poches des vêtements, oubliées, parfois depuis longtemps, la saison précédente, ou même avant, vides ou pleines : autant de boîtes vidées. De pièces à conviction. D'années de fidélité à mes petits copains blancs.
Très belle, la citation de Canetti. Mais si l'angoisse, la vraie, se trouvait quelque part entre les deux, ni glorieuse ni rabougrie, mais juste stagnante, et n'allant nulle part ?

02:54  
Anonymous Anonyme said...

Ma petite boite verte contient 75 cl. Maintenant l'asthme s'est tu. Je n'étouffe plus mais je me noie.

12:05  
Anonymous Anonyme said...

l'angoisse.. il faudrait la toucher du bout des doigts et s'en emparer, la prendre à bras le corps, cesser de la regarder en chien de faîence, arriver à ça, oui, avec ou sans les petites pilules, pour n e pas qu'elle nous ratatine

l'indifférence fait stagner, ne fait aller nulle part aussi....

je préfère encore l'angoisse qui me bouffe parfois

14:40  
Anonymous Anonyme said...

@ lesyeux : l'indifférence est probablement une des nombreuses filles de l'angoisse — mère célibataire mais prolifique.

18:01  
Anonymous Anonyme said...

je ne sais rien de l'indifférence, je sais m'abandonner à l'angoisse, je sais la reconnaître, signes avant-coureurs, je sais quand elle pointe son nez, lorsqu'elle serre la poitrine, je sais lui résister, la regarder dans les yeux, les chiens de faïence gardent leur distance, je n'aime pas les animaux immobiles, c'est avec les doigts et le clavier que l'angoisse termine son parcours ou bien qu'elle augmente son périmètre, elle n'est pas mon ennemie, comme la pilule blanche ne l'est pas non plus, l'ennemie de l'angoisse, elles cohabitent, nous sommes nombreuses, dedans
lh.

20:20  
Anonymous Anonyme said...

l'angoisse, notre compagne de tous les jours, petite souris triste ou grande vague tsunamique, dont on se relève pourtant avec les moyens du bord

l'angoisse c'est vrai n'aime pas le vert

17:03  

Enregistrer un commentaire

<< Home