2.4.06

le sida

on était dans sa voiture, il s'était garé près de mon ancien collège, je ne sais plus ce que nous faisions là, on sortait d'une soirée ou bien revenait-on d'un cours tardif, il me ramenait chez moi souvent, on étudiait ensemble, on révisait l'embryo et la physio dans ma chambre, il s'allongeait sur mon lit, s'adossait à mes oreillers, ses yeux étaient d'un bleu profond, azur, son sourire oscillait entre tendresse et animalité, il était réellement beau, c'était la première fois qu'un garçon, beau, s'intéressait à moi, qu'il me prenait en amitié, je n'avais pas de chance, il n'y aurait pas de suite, il avait garé sa voiture et les yeux dans les yeux je lui avouais que je n'avais jamais fait l'amour, j'avais vingt-et un ans, il avait un an de moins que moi, je savais que lui, si, avec des filles, il avait été étonné, j'avais avancé que ce serait difficile, avec la capote et tout, parce que je n'avais jamais rien connu avant, sans que le sida soit au milieu, c'était au tout début de l'épidémie, une autre fois, à la fin de l'année, nous étions restés silencieux, dans sa voiture, je n'arrivais pas à en sortir et il ne me laissait pas partir, j'étais captif de son regard comme il était emprisonné dans le mien, sa main ne s'était pas avancée, nos lèvres ne s'étaient jamais rencontrées, il ne serait jamais entre nous question du préservatif, sinon cette évocation unique que j'avais faite, un soir d'hiver, comme un rempart, une excuse à ma virginité



on était dans une chambre d'hôtel, il avait beaucoup d'argent, il avait voulu qu'on ait vue sur mer, il avait dit : demain matin, ce sera très beau, c'était le 31 décembre, je ne l'aimais pas, il s'était déshabillé, il portait un caleçon hideux, son sexe était court et large, il m'avait pris sans précaution, je ne veux pas dire qu'il n'avait pas mis de préservatif mais simplement qu'il n'avait à aucun moment fait attention à ce que je ressentais, il avait joui rapidement, moi non, en sortant de moi il avait remarqué à haute voix que la capote avait lâché, je lui avais demandé s'il avait fait un test, il était dans le milieu médical, je pensais que c'était un gage d'intelligence, il avait rétorqué qu'il fallait bien mourir de quelque chose, j'avais quitté la chambre bien avant le lever du soleil


on était dans la rue, il était séropositif depuis plus d'un an, on s'était séparé quand ce que nous vivions n'avait plus eu de sens à mes yeux, il était déjà contaminé, on l'avait appris ensemble, à vingt-quatre ans, on avait pleuré dans les bras l'un de l'autre alors que déjà on ne se touchait plus, la maladie nous avait rapprochés alors que déjà je ne l'aimais plus sans réussir à me l'avouer, il m'avait demandé : et toi? on était dans la rue, il pleurait encore une fois, je pense que c'était parce qu'il était heureux qu'après un an d'incertitude j'aie enfin trouvé le courage de faire un test, mais à la réflexion, je crois que ses larmes voulaient dire que notre histoire était bel et bien finie et qu'il était seul, à nouveau


10 Comments:

Blogger - said...

les mots qui disent tout ça.

22:43  
Blogger - said...

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22:43  
Anonymous Anonyme said...

Qu'elle est pire maladie ? Le sida ou le désamour ? Merci pour cette exposition courageuse et bouleversante.

10:00  
Blogger ECHINE said...

Magnifique et touchant.
Merci.

10:35  
Blogger jp/lh. said...

interrogation toute littéraire, sandrine : la pire des maladies?
celle dont on meurt à coup sûr
façon tourvel, liaisons dangereuses, pneumonie romantique pour un titre admirable, brûlant d'actualité
le XVIIIème siècle peut-il pour autant rivaliser avec les chiffres donnés à l'antenne durant le sidaction?
nul ne le pense, pas même toi, j'en suis certain
mais porter ton interrogation plus loin, là où tu la menais : sida seul, abandonné, désaimé ou sida comme n'importe quelle autre maladie, reconnu, assumé, entendu?
c'est là l'enjeu du XXIème siècle -et notre devoir
lh.

20:00  
Anonymous Anonyme said...

Bien évidemment, une question toute littéraire qui n'avait pas d'autre visée que de stigmatiser l'insupportable isolement (affectif, financier, moral) des malades du sida. J'entends des témoignages insoutenables à Aides allant dans ce sens, lesquels me laisse très démunie.

23:22  
Anonymous Anonyme said...

Tu travailles chez Aides Sandrine ?

A Lo.. Oui étrangement c'est parfois plus dur de trouver les mots sur son propre blog, souvent je suis un autre moi-même, moins censuré, chez les autres, chez vous par exemple

je suis heureuse que vous ayez trouvé des points de contact, je lis en anglais parfois, dans un flou bizarre des phrases à demi comprises, cela a un certain charme mais impossiblde de rendre compte du livre ensuite - pour peu que ce le soit dans un livre lu en français

15:07  
Anonymous Anonyme said...

Je l'avais embrassé dos au comptoir, avais ouvert son pantalon à peine discrètement, il avait dit que c'était bon de redevenir un homme, nous savions tous dans ce milieu qu'il avait contracté notre maladie, celle qui désormais appartient à tout le monde...

09:39  
Anonymous Anonyme said...

comptoir et café brant, jonas se souvient et ses possessifs universalisent
merci pour ton soutien
lh.

20:31  
Anonymous Anonyme said...

Embrassé sa bouche, son nez, son visage, sa salive, son sida, son arrogance, sa puérilité parfois, sa beauté et son horreur, son sourire et sa laideur derrière un café, dans une cage d'escalier, dans son appartement sale et en compagnie des cafards.
"Reconnu, assumé, entendu" au milieu de bien d'autres choses.

22:27  

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