30.8.09

les employés



on avait gonflé des ballons et accroché des guirlandes en forme de cœur que le vent venu de la mer faisait voler dans la salle à manger que l'on décorait pour la réception, les premiers arrivés nous avaient pris pour des employés et nous demandaient les toilettes, on les renseignait avec bonhomie en choisissant notre table stratégiquement, proche de la terrasse, la fête, fidèle à ce que l'on attendait d'elle en pareille occasion, exacerbait les sentiments que le soleil de la journée avait chauffés à blanc, on avait été heureux et triste en même temps de ce que la vie exigeait qui ravissait les uns et assombrissait les autres, on savait où l'on se situait, on le gardait pour soi

25.8.09

le sacrifice



j'avais terminé mon projet dans la nuit, incapable de dormir à cause de phrases qui ne me plaisaient pas et que je me levais pour modifier, reformuler, effacer ou confirmer d'un mouvement de tête silencieux, plus j'avançais dans sa complétude, plus j'avais pris de la distance par rapport à son sujet : la mort ne me hantait plus, elle s'éloignait de moi et me rendait à la vie qu'elle avait bouleversée pendant presque quatre ans de ses coups de faux imprévisibles et de ses menaces permanentes, il avait fallu lui sacrifier six taureaux et cent cinquante mille signes pour qu'elle me laisse enfin en paix, j'avais bouclé un cycle, fermé une porte, je passais à autre chose

24.8.09

l'aficion



je découvrais, les bras chargés d'un plateau à la tombée de la nuit, que je m'attachais à la région et à la vue particulière sur les vignes, jusqu'aux manèges du grau-du-roi à trente kilomètres de là dont le halo bleuté empiétait sur le crépuscule rose, depuis le jardin de la résidence où l'on avait bu un pic saint loup remarquable, et ce malgré le vent, les volets qui claquaient, les moustiques, les travaux des voisins, les poubelles à six heures du matin ou le petit avion qui survolait la maison, la canicule qui nous avait terrassés les jours précédents, la fermeture des restaurants le samedi soir quand on recevait des amis et l'aficion que l'on ne partagerait jamais vraiment parce que, quel que soit le sentiment qui m'habitait soudain, on n'était pas du coin

23.8.09

les rencontres



arles présentait des natures mortes, des hôpitaux psychiatriques, des travailleurs et des martyres, des lauréats et des découvertes, des photographes qui n'en étaient pas et d'autres qui n'avaient jamais cessé de l'être, dont la vie s'affichait en images et en mots, arles donnait tant à voir que l'on en avait la rétine fatiguée à force de couleurs et de noirs et blancs qui ne répondaient jamais à l'idée que l'on se faisait d'eux, il y avait eu des déceptions, un emportement de taille devant l'implication minimale d'un auteur qui inspirait plus de pitié qu'il n'était inspiré par elle, et des rencontres répétées, le long des galeries et des hangars, qui dessinaient de nouveaux motifs dans les motifs existant et que l'on retrouverait, l'année suivante, ou celle d'après, immortalisées à leur tour

22.8.09

l'alguazil



on avait tourné autour de la table plusieurs fois avant de choisir sa place, à la manière des animaux sauvages à la recherche de leurs marques, l'alguazil s'était installée face à moi, les clés en mains, on avait évoqué le paseo et la nervosité du cheval qu'elle montait, les passes de capote et le rôle des banderilles, la saignée des picadors, le poids de la muleta et la maîtrise du torero, le trajet de l'épée, à partir d'un point stratégique de quelques centimètres sur le dos du toro qui permettait à une estocade parfaite d'achever la vie de la bête en traversant son cœur, la nécessité du descabello parfois, et de la puntilla toujours — on mangeait un carpaccio de taureau tranché fin, citron et huile d'olive, on n'en perdait pas une miette

21.8.09

le siège



les dinosaures avaient envahi à l'aube la propriété voisine et les fusils des chasseurs retentissaient dans les brumes matinales, on s'était replié dans la maison, on avait fermé les fenêtres et on avait enfoui la tête sous les oreillers, tu geignais dans ton sommeil, on avait quémandé la veille une ouverture exceptionnelle le long des remparts d'aigues-mortes que l'on avait empruntés en sens inverse de la promenade, d'abord parce que l'on ne pensait pas en faire le tour, puis, emporté par la vision des montagnes de sel rose, parce que l'on n'avait pas eu le courage de revenir en arrière, l'issue interdite (et périlleuse) nous avait été accordée et l'on s'était senti invincible, au matin la résidence était attaquée, confirmant tes rêves de persécution, tiendrions-nous le siège?

20.8.09

les sens



la nuit résonnait de cris d'animaux étranges, hululements soudains et souffles rauques de bêtes dissimulées dans les arbres, au ras des herbes folles, et dont la curiosité se révélait dans un craquement de feuilles sèches, on dînait dans le jardin, à la faveur du coucher de soleil et d'une flamme vacillante jetée sur nos interrogations, on visitait l'actualité, le quotidien, la langue que l'on parlait sans plus s'en émouvoir et que le contact avec un auteur étranger obligeait à remettre en question quand l'évidence d'un contresens sonnait à ses oreilles francophiles, on écoutait alors à nouveau, avec précision, les mots que l'on employait, leurs sons, leurs sens, en s'étonnant de tout ce que l'on avait su, tout ce que l'on croyait savoir, tout ce que l'on ne savait pas

19.8.09

le voyage dans le temps



on avait remonté le temps, l'espace d'une journée, le long des rues pavées de montpellier, sur une place ensoleillée qui gardait l'écho de conversations mortes, sous le porche d'un écrivain qui avait quitté la ville, on avait perdu le carré saint-anne que nous avait restitué un serveur au regard perçant dont le corps dessinait des arabesques d'encre colorées et de métaux moyen-âgeux, on avait terminé le voyage chez des amis que les années n'avaient pas changés, généreux et solides comme les arbres qui abritaient leur terrasse, sinon ces deux jeunes pousses, vertes et vives, qui couraient dans les jambes et se pendaient aux cous, et dont la croissance joyeuse, inéluctable nous rendait au présent

18.8.09

ayn rand



on avait visité une première cave sur la route de montcalm où le gris des sables était réputé, dont les horaires spécifiaient l'ouverture toute la journée mais la pratique, même en activant la sonnette proposée en cas d'absence, disait le contraire, la seconde, au cœur de vauvert, offrait un rosé bleuté aux notes de fraises et de framboises et le visage fermé de la commerçante en prime, j'avais hésité entre régler mes comptes vertement ou me faciliter la tâche (le vin était bon et il était presque midi), j'avais finalement choisi la deuxième option — de retour à la résidence, je cherchais en vain le livre d'ayn rand que j'avais évidemment oublié à la cave et, conscient qu'il faudrait y retourner, je haussais les épaules en riant

17.8.09

l'enfer



chaque journée semblait plus chaude que la précédente, l'air dansait par-dessus les champs, les nuages encerclaient la laune sans jamais coloniser le ciel invariablement bleu, les débardeurs brûlaient la peau et les fronts exsudaient une transpiration glacée dont tu t'étonnais en suffoquant, je t'expliquais que l'organisme avait pour devoir de protéger le cerveau en toutes circonstances, il refroidissait la boîte crânienne pour que la machine ne surchauffe pas, on frisait cependant l'insolation, la constance du vent, non content de ne rien y changer, pimentait au contraire la torture, on avait été imprudent, orgueilleux, on avait demandé l'enfer, on était servi

16.8.09

la sentinelle



on s'était réveillé dans les brumes du styx, un cocon ouaté et humide qui isolait la résidence du reste du paysage dont on ne devinait que des formes irréelles, fantomatiques, on avait contemplé un vol de cigognes quelques jours plus tôt, la migration faisait escale au diable, une sentinelle s'était posée sur le toit, une ombre immense, précise et immobile dans le soleil couchant que la nuit avait gommée — mais sa présence pesait sur notre sommeil —, au matin une jument gisait sur le flanc dans un pré voisin, sa tête agitée de contractions quand elle tentait de se relever et échouait sans cesse, je me demandais si l'on observerait sa dépouille avec la même neutralité les jours suivants, progressivement dévorée par la mort

15.8.09

le pour et le contre



je recevais cette phrase de michel onfray dans laquelle il se disait convaincu que ne pas être contre la corrida, c'était être pour, et qui ravivait l'accroche antagoniste que je prévoyais ici et qui affirmait qu'être contre la corrida permettait à une opposition binaire de s'afficher pour de manière réflexe, quand le débat — puisqu'il existait en ces termes — n'avait véritablement pas lieu d'être : il y avait une pratique qui consistait à sacrifier des animaux pour faire la paix avec les dieux et que l'homme, à travers les siècles, avait pervertie pour son propre divertissement, l'enfermant dans une justification ritualisée jusqu'au professionnalisme pour détourner une éthique évidente et la perpétuer, accepter cet état de fait conduisait à se poser la seule et unique question qui avait un sens : pourquoi?

huguette cabot (détail)

14.8.09

l'inondation



la privation d'eau avait joué subtilement sur l'humeur, de même qu'elle avait eu un effet psychologique saisissant sur le corps, desséchant la peau et les cheveux sans commune mesure, fatigant l'esprit qui se rebellait contre un emportement aussi dérisoire qu'inutile, on en ressentait les conséquences alors que l'on se disputait sur l'itinéraire à emprunter pour se rendre au château d'avignon dont les informations glanées sur internet contrariaient celles que fournissait le plan de la région, on était à fleur de peau parce qu'à nouveau douché, frais, rétabli dans une physiologie naturelle pour la saison, mais la tête à présent évacuait le trop plein d'émotions, on s'inondait

13.8.09

la panne d'eau



on s'était inquiété du bas débit des robinets dans la résidence, bientôt suivi par leur assèchement complet, les services techniques de la municipalité contactés aussitôt interviendraient — mais en vain — le matin suivant, diagnostiquant un dysfonctionnement du moteur de la pompe qui nécessiterait le remplacement de l'appareil, on avait fait des réserves au supermarché, puis on s'était changé les idées au village avec une glace italienne le long des rues animées par la fête où, le torse nu et l'enthousiasme communicatif, la jeunesse vauverdoise mixait sans complexe ricard et whisky, privée d'eau elle aussi mais trouvant cela manifestement à son goût

12.8.09

l'issue



fallait-il six mises à mort quand la première avait donné le ton et changé à jamais l'idée que l'on se faisait de la corrida, fallait-il — comme on l'entendait depuis — en voir une seconde sous prétexte que le « récital de juan bautista » avait déçu (huit oreilles pour six toros étaient, aux dires des amateurs, un piètre résultat), fallait-il revenir en arrière et considérer chaque aspect de la tauromachie dans la perception novice que l'on avait eue d'elle, fallait-il s'interroger sur la présence d'enfants dans les arènes qui riaient quand l'animal glissait comme ils l'auraient fait au cirque et bâillaient devant l'estocade, fallait-il que le vent me réveille et que les questions se bousculent, chaque nuit, pour tenter de trouver une issue?

11.8.09

la course camarguaise



on croisait l'abrivado dans la matinée qui obligeait à ranger la voiture pour laisser passer les taureaux, sous bonne escorte chevaline, se rendant des champs aux arènes, la fin de l'après-midi voyait la bandido reconduire les bêtes en sens inverse après la course camarguaise, où les raseteurs agiles, vêtus uniformément de blanc, couraient en zigzaguant devant l'animal pour lui arracher cocarde, gland et ficelle qui pendait ou s'enroulait autour des cornes, et dont les enchères montaient au fur et à mesure de la course, on prenait plaisir à regarder les bious, la patte nerveuse, entrer et sortir du toril sains et saufs, applaudis pour leur prestation — on soufflait en vérité

10.8.09

la caution



on partageait avec un auteur indien non seulement le mois de résidence, mais des vues identiques sur la question de la mise à mort : on s'était interrogé avant de partir pour les saintes maries, prenant brusquement conscience de l'inéluctabilité des exécutions auxquelles nous nous préparions à assister ensemble et sur lesquelles ni notre présence, ni notre absence dans les arènes n'influerait d'aucune façon — on en reviendrait épuisés, elle comme nous, avec la sensation amère de l'impuissance et l'incapacité, passée la corrida, de faire autre chose que d'en parler, encore et encore, pour exorciser (pour ma part en tout cas) la possibilité infime d'une caution

9.8.09

la confrontation



je défendais un projet autour de la mort — son acceptation, son inscription, son inévitabilité et son absurdité — au travers de nouvelles qui la mettaient en scène de manière frontale, comme le proposait la tauromachie, ce qui avait convaincu la résidence de soutenir ma candidature quand j'avais avoué ma curiosité à l'égard de ce que l'on appelait un art et que je voulais confronter avant d'affermir ou d'infirmer ma position opposée à sa pratique, je n'avais pas idée de ce que le spectacle de la corrida allait déclencher comme analogie et comme questionnement, pas plus que je n'aurais pensé auparavant me taire face à quelqu'un qui s'en offusquerait de façon péremptoire sous prétexte que j'en avais été témoin, ce qui n'était pas son cas

8.8.09

la corde au cou



les réservations se faisaient par téléphone, j'avais relevé le numéro sur une affiche colorée, l'événement était de taille, tenait-on de la bouche d'aficionados, je m'étais accordé deux jours avant d'appeler les arènes des saintes maries où juan bautista mettrait six taureaux à mort un samedi à dix-huit heures, j'avais été surpris que l'on me demande mon nom et mon adresse pour m'envoyer le programme de la saison, mon numéro de carte bancaire, sa date d'expiration et le code à trois chiffres au dos comme pour n'importe quel spectacle, je pensais que la corrida, comme la drogue, commençait dès le moment où l'on mettait la main dans l'engrenage — j'oubliais que les dealers savent y faire pour vous passer la corde au cou

7.8.09

la place gambetta



on prenait le petit-déjeuner dans le jardin, à l'ombre d'un platane dont les feuilles dessinaient au gré du vent des visages cornus, sardoniques, puis on se rendait à vauvert, au pied de la tour de l'horloge, pour boire un café et lire, toi les journaux, moi les épais volumes que j'affectionnais, en souriant aux habitués de la place gambetta comme nous le devenions aussi, reconnus, accueillis, consolés même quand la patronne du bar se désolait que quelqu'un d'autre occupe notre table, et on haussait les épaules, beaux joueurs, accumulant des points pour les jours suivants qui verraient le village s'étourdir aux excès des fêtes votives

6.8.09

les attentes



on avait pris la route de gallician au lieu de celle d'aimargues que l'on prévoyait, ce n'était pas une erreur, on avait changé d'avis, tu avais dit ensuite que tu rentrais à nice, que je faisais une crise chaque jour depuis notre arrivée et si je ne pouvais pas te donner tort, je ne pouvais pas non plus te donner raison, on avait des attentes, l'un de l'autre, personnelles et artistiques, et au delà de nous, vis-à-vis de la résidence (sa structure, son accueil ou son déroulement), on ne se le disait pas de peur d'affronter cette autre vérité qui était que l'on pouvait aussi décider de ne pas rester — ce que certains avaient fait, ce qui devait forcément traverser l'esprit de chacun, confronté à l'autre ou à l'inconnu

5.8.09

la moustiquaire



on avait rabattu les moustiquaires le long des fenêtres dont on gardait les volets mi-clos dans la journée à cause du soleil qui frappait fort sur la façade jaune, on avait passé une première nuit tranquille, et une deuxième sans insecte, identique à la première si l'on choisissait d'ignorer la brutale sensation d'étouffer face aux fenêtres ouvertes mais que la moustiquaire comme une toile d'araignée condamnait imperceptiblement — mon visage avait rencontré le grillage invisible lorsque le pas de sabots mystérieux avait résonné dans le silence de la nuit, m'empêchant de me pencher, de voir, me repoussant tel un élastique dans la maison, captif, pris au piège

4.8.09

les informations



on absorbait une masse d'informations trop grande relativement au court temps passé en camargue, qu'elles fussent d'ordre visuel, sensoriel ou géographique : si les routes par exemple qui encerclaient la maison semblaient pareilles à d'autres que l'on maîtrisait celles-là, on découvrait qu'il n'en était rien et que certaines facilités que l'on avait ici ne se reproduiraient pas là, du moins pas avant que l'on n'apprivoise, la tête basse et la main tendue, une région que l'on ne (re)connaissait pas — de même avec les hommes, il faudrait un temps d'adaptation pour entendre les choses, comme on entend en espagnol : pour les comprendre

1.8.09

la résidence



les jours s'égrainaient lentement, de juillet au tout début du mois d'août, dans l'attente d'un (nouveau) départ vers des horizons sauvages, des écritures barbares et de mystérieuses rencontres, encore dissimulés par le mouvement d'un drap sang, l'envol des flamants roses ou l'érosion douce des dunes, on ne se parlait presque plus, on gardait un mutisme religieux, abruti de concentration, comme si le silence des heures précédant la résidence offrait une préparation nécessaire aux changements que l'on voyait se dessiner au cœur de l'été et que l'on rejoindrait bientôt la tête haute, affrontant sans appréhension le diable et ses sujets