29.6.09

la projection



j'allais finalement voir ce film dont la simple idée me terrifiait mais qu'il ne m'était pas possible de ne pas voir, préparant mon esprit en le barricadant contre la peur, le corps tendu à l'extrême, découvrant aux premières paroles échangées que la version originale annoncée n'avait pas été respectée et me servant de la colère qui grandissait en moi pendant la séance, miroir de ce qui se passait à l'écran, pour éviter de prendre psychologiquement part à l'action — tu m'abandonnais à la terrasse d'un café après le cinéma, las de mes excès, et je te maudissais, hors de moi, conscient du pouvoir immuable de la projection

28.6.09

les points noirs



les changements étaient imperceptibles mais tu étais attentif, peut-être trop, et je t'enjoignais à te détacher lentement du modèle, à t'éloigner avant que la bombe n'explose, tu n'abandonnais pas pourtant et je t'en étais à la fois reconnaissant et chaque jour davantage redevable : tu braquais ton œil au plus près, au plus intime, tu faisais par l'image le travail qu'un autre faisait sur mon esprit, comme on enfonce les ongles dans la peau pour en extraire inlassablement les points noirs, rêvant d'assainir une fois pour toutes un territoire que la pourriture ne laisserait pas en paix

26.6.09

la pitance



on cherchait à vaincre quelque peur enracinée en soi qui attacherait le corps à tout jamais au sol, on exorcisait à l'ombre des sous-bois et des sous-pentes, on avait retrouvé la ville le jour-même où disparaissaient une icône blanchie et une drôle de dame, l'enfance filait par petits morceaux que l'on rassemblait ailleurs, dans cet espace qu'on appelait littérature et qui lui aussi réclamait sa pitance quotidienne, on aurait bien le temps de pleurer quand les yeux seraient éteints, pour l'heure il y avait à faire

6.6.09

la planète



la ville de nice avait convié ses habitants à la projection en plein air d'un film dont la liste des sponsors, des entreprises pour qui la sauvegarde de la planète tenait lieu d'assurance financière sur l'avenir mais qu'ils applaudissaient quand même pour leur bel engagement, s'affichait sans vergogne et dessinait, en préambule de la leçon d'écologie démagogique et moralisatrice qu'ils allaient suivre, téléphone portable à l'oreille et pétrolette vrombissante sous les fesses, les quatre lettres bavantes de nostalgie d'un titre qui évoquait le feu de cheminée et la soupe de maman — c'était sans regret aucun que l'on tournait le dos à la liesse populaire et que l'on quittait la côte d'azur pour la campagne

3.6.09

les statistiques



quatre jours étaient passés depuis istanbul, et trois notes sur le sujet, et le drame qui avait coûté la vie à deux cent vingt huit personnes ne me permettait plus de revenir en arrière pour une raison qui n'avait rien de noble, mais servait à blinder mon esprit contre l'horreur de leur expérience : évoquer la turquie, c'était remonter le temps vers une date antérieure à l'accident qui n'abriterait mon retour derrière aucune statistique rassurante, de celles que se murmureraient quelques heures plus tard les passagers d'air france avant d'embarquer, et j'avais besoin d'échapper au crash des autres pour avoir une chance de reprendre l'avion — j'en acceptais la monstrueuse formulation et planifiais un prochain voyage

1.6.09

le turc



j'avais la faculté de mémoriser rapidement les langues étrangères et leur accent particulier, je travaillais par étymologie et logique mathématique pour reconstruire le langage d'après ce que je comprenais de sa phonétique ou de sa grammaticalité, j'avais été paresseux avant istanbul parce qu'il me semblait que mon talent s'émoussait avec l'âge, aussi n'avais-je prêté l'oreille au turc que la veille du départ, comprenant, mais trop tard, que la langue aurait demandé une application plus grande lorsque l'on me souhaitait la bienvenue dans un café, que je remerciais avec un temps de retard et que le serveur, dubitatif sur mon origine, me priait dans un anglais malaisé de répéter ma commande