31.3.09

la journée de la jupe



on la regardait passer de main en main, seule détentrice de pouvoir, cette arme qui finirait par avoir le dernier mot, que ce fût celle-là ou une autre quelle importance, on n’entendait que le tir du pistolet, on ne respectait que le braquage, d’un flingue ou d’une caméra pareil, on assistait, comme au théâtre, statique sur sa chaise en plastique de salle polyvalente, au quotidien malmené d’un lycée de seine-saint-denis qui ne mobilisait ni les esprits, ni les syndicats, ni les politiques concernés, on apprenait que les diffuseurs censuraient le film en banlieue qui, argumentaient-ils, n'en ressentait pas le besoin, on comprenait alors qu'il n'y avait pas d'autre solution que l'attaque et que l'on prenait la parole comme on prenait la bastille, à coups de feu, on y laisserait sa peau mais ça valait la peine

30.3.09

le hurlement



l'emploi du temps
s'étoffait mois après mois, mon journal accumulait plus de cinq mille pages et j'élaborais des pistes en vue de la résidence que l'on m'avait offerte l'été suivant, je ne parvenais pourtant pas — mais était-ce question de possibilité? — à entrer dans un nouveau "roman" (j'employais les guillemets à bon escient, ne cherchant pas à me cantonner à un genre), j'avais envers les manuscrits en attente un attachement et une fidélité qui m'empêchaient de leur tourner purement et simplement le dos, la semaine avait commencé par le refus d'un éditeur que j'avais accueilli sobrement en surface mais, de même que le texte relié, typographie noire sur fond blanc faussement sage, bouillonnait et vomissait, je hurlais en silence, les crocs plantés dans la langue, et j'avalais mon sang

28.3.09

le bon chemin



« voilà, c'était ça le bon chemin : il fallait, comme on étudie la grammaire, la musique, étudier les émotions que les autres provoquent en nous »
goliarda sapienza, l'art de la joie

26.3.09

la part des choses



le manuscrit ouvrait sur une citation des journaux de sylvia plath à propos du caractère impératif d'avoir des enfants, condition sans laquelle l'écriture, précisait-elle, ne serait qu'un simulacre de la vie réelle, je l'avais adressé à un éditeur belge lors de mon voyage à paris et qui l'avait donc entre les mains alors même que l'on apprenait que le fils de l'écrivain s'était donné la mort par pendaison, le texte accompagnait le narrateur dans son rapport intime à l'enfant qu'il n'aurait jamais en cherchant constamment à faire la part des choses entre complaisance et véracité du sentiment paternel, je ne pensais pas que ma vie sans enfant serait une existence vide, du moins : je ne pensais pas à l'enfant qui ne viendrait jamais de moi, du moins : il y aurait des livres, n'est-ce pas?

niki de saint phalle, la mariée, centre pompidou

23.3.09

le monstre



on m'avait récemment reproché le caractère morbide de certaines notes, tout en convenant de leur qualité et de leur impact, on ne comprenait pas pourquoi, alors que j'avais potentiellement toutes les chances de vivre vieux, j'étais brusquement rattrapé par les spectres du passé et de l'avenir, j'avais pourtant depuis l'enfance un rapport particulier à la mort, je ne me souvenais ni de celle d'un animal cher, ni de la première fois que son évidence m'avait traversé, mais j'étais dévoré, et cela depuis le plus jeune âge, par un monstre intérieur qui tendait à ma disparition et que je baptisais lucidité, lors d'une interview télévisée, isabelle adjani avait à son tour évoqué le monstre qui nous grignotait sans relâche et arriverait à ses fins tôt ou tard, lui donnant cependant un autre nom que le mien, mais dans ses yeux de porcelaine immenses et lumineux je l'avais reconnu sans erreur et même si cela peut sembler inconcevable, nous nous étions souris

21.3.09

l'audace



l'accès et la sortie se faisaient en progressant dans un unique passage exigu et sombre, prévenait-on et si la consigne pouvait prêter à sourire, j'avais dû affronter des peurs ancestrales pour parcourir en rampant le corridor qui desservait, après quelques mètres interminables de claustrophobie panique, une caverne où dormaient des montagnes de terre, on lisait dans tel magazine qu'il fallait différencier l'audace de la provocation, on entendait ailleurs de vieux artistes revendiquer des actions dont on projetait les traces sur grand écran l'après-midi, je me tenais debout dans la caverne, le dos contre une vitre qui me séparait de l'air libre et donnait à voir mon corps et mon calvaire, l'audace aurait été de briser la vitre, au lieu de quoi je rampais en sens inverse, anéanti, comme tout le monde

19.3.09

le professeur sanassi



on lisait dans les quotidiens les consignes à suivre pour s'adapter à la grève comme ç'aurait été le cas face à une catastrophe naturelle, le discours politique s'entêtait à culpabiliser les mécontents en leur imputant une perte financière dérisoire comparée aux sommes versées généreusement pour combattre la crise, et avec lesquelles, entendait-on dire sans complexe, les cadres s'organisaient des séminaires outremer, le professeur sanassi de son côté, grâce à une voyance claire et précise, réussissait là où les autres avaient échoué, il recevait sur rendez-vous sept jours sur sept pour des résultats dans la semaine et travaillait aussi par correspondance — je gardais le tract sous le coude, regrettant de ne pas avoir offert une tasse de café à l'homme qui l'avait posé discrètement sur ma table pour ne pas déranger ma lecture

18.3.09

mourir



la mort du disque-dur faisait étrangement écho à cette phase que je traversais, selon laquelle les choses n'avaient plus l'importance que je leur accordais auparavant, j'allais mourir et la peur n'en éviterait pas la fatalité, comme toi, comme vous, comme la machine était morte brusquement, sans signe avant-coureur, emportant avec elle nombre de souvenirs mais il en restait bien suffisamment en dehors d'elle pour que sa mémoire subsistât, il en irait de même avec sa propre absence, l'effacement brutal de la personne n'en emporterait pas la substance qui survivrait longtemps, de pages en correspondances, de larmes en soupirs, de rancunes en amours, il y avait au fond peu à craindre

16.3.09

les machines



on avait commencé avec un seul ordinateur que l'on se partageait, sur lequel j'écrivais mes premiers romans, on avait acheté ensuite imprimante et scanner, puis un modem quand on avait compris qu'internet était non seulement inévitable mais réellement prodigieux, l'idée des portables était née des designs révolutionnaires que proposait la petite pomme multicolore et parce que tu te construisais entre photographie et informatique, dix ans plus tard, et malgré des progrès techniques incontestables, on en revenait au point de départ parce que toutes exceptionnelles qu'elles fussent devenues, les machines restaient des machines, et je lisais ces mots avec sérénité parce que, clavier souple rétro-éclairé ou pas, je restais un écrivain

15.3.09

bleu pétrole



« usez vos souliers
usez l'usurier
soyez ma muse
et que ne durent que les moments doux »
alain bashung, osez joséphine

13.3.09

le libé des écrivains



on débattait depuis plus d'une heure sur le libé des écrivains que l'on avait acheté non pas comme tous les jeudis — ainsi aurait-on eu l'excuse de l'avoir en mains naturellement — mais parce que l'exercice de style général, couplé à l'annonce d'un film sur l'entreprise menée par le journal que retransmettrait le soir-même la télévision publique (et que l'on ne verrait pas), nous avait suffisamment questionnés pour souhaiter en savoir plus, on avait parcouru le quotidien chacun son tour, on en avait tiré ses propres conclusions, j'avais écrit un texte polémique qui n'existerait pas ici mais dont la résonance se devait de paraître, au vu du temps que l'on y avait passé, j'eus aimé qu'on me proposât l'expérience, cela seul m'aurait donné la chance de trancher

11.3.09

la langue japonaise



le saké tiède avait pesé sur ma langue d'une étrange façon, à la manière de l'eau lourde — ou de ce que son expression déclenchait chez moi comme fantasme d'un poids modifié du liquide —, chaque gorgée avait été suivie d'une exploration curieuse de la sensation inédite qui l'accompagnait, deux semaines plus tard je respectais les prescriptions du médecin pour me débarrasser d'un champignon brun qui avait envahi ma bouche et enflammé mes muqueuses, imputable sans aucun doute à des problèmes gastriques chroniques mais que je ne pouvais pas m'empêcher de rapprocher de ce dîner-là — j'avais, fallait-il le noter, repris l'étude de la langue japonaise pendant mon séjour à paris

7.3.09

les enfoirés



la chanson rappelait que si c'était prévu pour un soir, vingt ans après les restos du cœur étaient toujours d'actualité, elle disait que les ministères n'avaient pas su régler un problème que les artistes dénonçaient à coup de refrains populaires et convenait que ce n'était pas sérieux, on écoutait les paroles avec une certaine ferveur qui ressemblait à celle qu'on lisait dans les yeux d'un public conquis au spectacle et dont l'engagement humanitaire était sans doute moindre que l'enthousiasme quand leur sportif favori apparaissait sur scène, on se rendait compte qu'à l'identique, on était chaque année au rendez-vous devant le téléviseur comme on va à la messe de minuit à noël, par habitude, avant de rentrer bien au chaud chez soi ouvrir ses cadeaux et manger le dessert

5.3.09

le césar



on avait eu trois heures de retard à l'arrivée à nice et, jusqu'aux arcs, les meilleurs voisins qui pussent exister, on avait suivi leur conversation depuis l'annonce du détournement du train sur une ligne classique jusqu'au tutoiement inévitable lorsqu'ils avaient récupéré leurs bagages, la rencontre avait été truffée de moments exquis et de phrases d'anthologie, elle aimait la mer comme la montagne et ne s'en lassait jamais, lui affirmait "à chacun son métier" et la mettait en garde contre les méfaits du mimosa, elle adorait shanghai, il revenait de prague, quelques jours plus tôt philippe claudel avait récolté trois récompenses pour son film qui m'avait fait presque autant rire que la logorrhée de mes compagnons de voyage, je réservais mon césar de la meilleure comédie

3.3.09

payer



« et je ne rêve pas je sais quand j'arrêterai
je vais quitter paris
je sais après, je vais payer pour ça »
julien doré, les limites

1.3.09

penser



« penser avec son corps, c'est l'une des grandes tâches de l'homme »
lorette nobécourt, l'usure des jours

vides. une rétrospective, centre pompidou