30.12.08

la couverture



on terminait l'année en se demandant ce que nous réserverait la suivante, on avait mis des chantiers en branle, dont certains déjà avaient donné des résultats heureux, on ne se posait pas la question du travail parce que l'on estimait que les scènes politique et sociale qui s'affrontaient au dehors ne faisaient que se confirmer l'une l'autre, dans leur incompétence et leur manque de réalisme, on n'avait pas d'ambition autre que celle de vivre, au mieux de ce qui était en notre pouvoir, face aux images successives d'un sans abri à qui l'on offrait une couverture supplémentaire avec une poignée de mains réconfortante et d'un naufragé sponsorisé par des assurances monocoques et dont le pays se faisait une gloire d'avoir abrégé, je cite, le calvaire, en souhaitant ne jamais perdre la capacité de s'en indigner — à défaut d'y changer quelque chose

27.12.08

laura



on m'avait confié un secret, comme quoi la réussite d'un projet ou l'exaucement d'un vœu passait par la foi inébranlable en son occurrence et j'avais souri, comme je souriais lorsque l'horoscope du quotidien régional écrivait que mon attente allait prendre fin ou que les nouvelles, jusque là décevantes, me mettraient du baume au cœur dans les prochains jours, l'agent spécial dale cooper de son côté préconisait de s'octroyer un cadeau par jour, une chemise, du parfum ou pourquoi pas : une tasse de ce délicieux café que servait norma jennings, j'avais commandé une part de tarte à la myrtille avec confiance en me rappelant que mon premier livre s'appelait laura, les hiboux n'étaient pas toujours ce qu'ils semblaient être

25.12.08

les excuses



tu trouvais en permanence des excuses aux éditeurs dont le silence borné et parfois incompréhensible allongeait mes traits et plombait les heures que je passais devant l'ordinateur, tu disais que c'était la rentrée littéraire, la frénésie des prix ou tout simplement les vacances, on avait décidé ensemble d'une destination arbitraire que les éditeurs avaient tous choisie pour leurs congés de noël et dont tu faisais résonner le nom exotique quand je secouais la tête sans un mot et que tu devinais mes pensées, on plaisantait alors sur le travail accompli malgré tout et les envois que je faisais en pure perte, puis tu passais à autre chose et j'écoutais, loin devant, un autre silence, définitif celui-là, qui annulerait leur influence et dont la certitude, seule, m'apaisait

23.12.08

l'heure du loup



on ouvrait les yeux systématiquement vers trois heures du matin, on restait silencieux un moment avant de tenter une approche vers l'autre qui confirmait que l'on ne dormait pas, on essayait de faire semblant, généralement vers quatre ou cinq heures le sommeil venait nous chercher et nous dorlotait jusqu'à neuf, on attribuait le trouble au décalage horaire avec new york dont on aimait bien l'idée de ne s'être pas remis, je recevais au matin un message en anglais qui définissait l'heure du loup comme un moment de clairvoyance existentielle qui avait lieu entre trois et quatre heures du matin, on décidait alors de veiller jusque là et de ne se coucher qu'une fois installé dans l'heure du loup, on s'endormait fourrure contre fourrure, babines retroussées et canines apparentes, l'esprit dans les brumes du grand nord et le cœur éteint

i like america and america likes me, joseph beuys

21.12.08

les ressources



on avait fêté ton premier anniversaire que l'on passait ensemble dans un petit restaurant que l'on fréquentait l'un et l'autre, avec ton fils, en comité restreint, tu avais eu la bonne idée de me rencontrer en novembre, aussi j'avais dû très vite faire preuve d'initiatives pour assurer pour les fêtes et ton changement d'âge coup sur coup, on en plaisantait en disant que c'était un test pour savoir si j'avais des ressources, treize ans après le petit restaurant n'existait plus, ton fils avait passé la trentaine, on avait prévu une soirée en tête-à-tête, avec des huîtres et des fruits exotiques, je te demandais combien de cadeaux tu souhaitais et tu répondais au hasard trente-sept, deux ou vingt-quatre, je prenais des airs de conspirateur en fouillant dans des valises vides, on s'amusait comme des enfants, on avait bien le temps de grandir

18.12.08

les folies suédoises



j'avais emprunté la voiture et roulé jusqu'à la zone industrielle de toulon où, pour quelques euros, j'avais fait l'acquisition dans une enseigne étrangère de décorations de noël, orange et acajou, aux formes non-conventionnelles et qui tranchaient admirablement avec le vert des sapins gigantesques du magasin, on avait choisi un arbre plus modeste avec une excitation d'enfants de dix ans et j'avais tendu fièrement mes achats qu'aucune branche ne semblait susceptible d'accueillir, toi-même émettais des doutes sur l'innovation colorée que je proposais tout en composant un habillage superbe et convaincant, celui-là, on avait finalement trouvé ensemble une place à mes folies suédoises, dans une autre pièce donc loin du sapin, en se demandant pour la centième fois dans un fou rire étranglé ce qui m'était bien passé par la tête

15.12.08

la complicité



la pluie martelait le toit sans cesse, de sorte que le sommeil était entrecoupé de réveils vifs lorsque le rythme des averses variait, on quittait le lit dans la pénombre, on se dirigeait vers la salle de bains où, à son tour, on pleuvait contre la porcelaine, on buvait à la bouteille à la lumière du réfrigérateur, parfois on restait debout, une heure, deux, à regarder les trombes d'eau battre le carreau et à imaginer des drames diluviens le long du bord de mer que le quotidien régional retracerait dans ses grandes lignes le matin, au café, on évoquait la météo avec les voisins et on rentrait chez soi s'abriter, j'avais appelé ma grand-mère qui affrontait des températures négatives dans le centre de la france, je lui avais raconté à sa demande notre emploi du temps, elle s'était exclamée que l'on vivait comme des vieux avec une satisfaction à peine dissimulée, on avait ri au téléphone pendant une dizaine de minutes, complice

13.12.08

la marelle



on avançait sur un pied à partir de la base, un pas, deux pas, on stabilisait sur les deux jambes, tendues, écartées, on reprenait à cloche pied pour deux ou trois pas de plus avant d'atterrir au paradis, on y savourait quelques instants l'ivresse d'une victoire puérile avec un sourire de triomphe, on se rappelait les textes publiés et ceux qui ne l'étaient pas encore, on lisait le travail en ligne avec une fièvre inattendue, rendue possible par la qualité de l'écoute que l'on recevait, on ne restait pas longtemps au ciel, d'autres, derrière, piétinaient et briguaient la place, d'un saut on faisait volte face et on revenait, acrobate, éphémère, à la terre, on quittait la marelle à regret — sur les trottoirs gris, la craie s'effaçait sous les pas des hommes

8.12.08

la proposition intéressante



le dernier jour servait traditionnellement aux courses, l'achat des choses que l'on avait repérées pendant le séjour et dont on avait la chance de se rappeler non seulement l'existence mais aussi l'emplacement, fallait-il encore que le parcours soit cohérent avec les adresses à visiter afin de perdre un minimum de temps pour atteindre un maximum d'efficacité, le dernier jour n'avait pour ambition que cela, en vue des préparatifs du voyage retour, parfois, pourtant, c'était ce jour précisément que l'on recevait une proposition intéressante, et l'on sacrifiait le plaisir attendu des autres au seul sien en se convainquant que c'était pour la bonne cause, finalement on courait les rues hors d'haleine en se maudissant de ne pas s'y être pris à l'avance, et le soir venu, on soupesait ses bagages avec désespoir et la fierté néanmoins d'avoir été capable de tant avec si peu

7.12.08

les champs élysées



on disait des champs élysées que c'était la plus belle avenue au monde, on la montait lentement dans le froid du dimanche matin vers un arc de triomphe unidimensionnel, noyé dans la brume de l'hiver et la buée que soufflaient nos bouches, héros et hommes vertueux y jouissaient d'après la mythologie grecque d'un repos mérité, j'avais proposé à mes amies une pause nostalgique au drugstore publicis qui rappelait par sa seule résurrection que l'on avait vieilli, on s'était posé la question de l'âge, à quel moment le visage commençait-il à donner des traces d'usure, j'avais parlé des rides et des pattes d'oie qui se dessinaient au coin des yeux sur les derniers portraits de moi, de retour sur le pavé le soleil aveuglait les mortels et l'éther brûlait d'or, paris du haut des champs se prolongeait à l'infini, on avait repris notre chemin

6.12.08

les réparations



j'avais déposé une paire de chaussures chez un cordonnier du marais, on avait parlementé un peu à propos du délai de ressemelage mais on était finalement tombé d'accord, le lendemain j'apportais mon ordinateur au service technique du revendeur en argumentant sur la durée brève de mon séjour, j'arpentais les rues de paris avec une certaine assurance et le sentiment de n'avoir accompli le voyage que pour régler des détails domestiques, je récupérais les chaussures et l'ordinateur le même jour, les réparations, si elles me convenaient dans la forme, avaient néanmoins raison de l'énergie que je prévoyais à ma seule détente, je comprenais naturellement que j'avais besoin d'une nouvelle psychanalyse

5.12.08

la sauvegarde



j'aurais pu passer des heures à me lamenter ou à tergiverser sur la marche à suivre lorsque l'ordinateur ne s'était pas allumé, mais en vérité, une fois le premier choc encaissé, j'avais ressenti une sérénité inattendue, c'était comme si je m'étais préparé à cela depuis le début, il n'était pas question de sauvegarde — je ne m'étais d'ailleurs pas dépêché d'en faire une, l'ordinateur retrouvé —, il n'était même pas question de perte, l'écriture n'était pas la somme des méga-octets de texte que contenait le disque-dur mais bien inscrite, enregistrée, imprimée dans mes neurones, la machine finalement ne servait que d'interface, elle n'était pas indispensable et pouvait être remplacée, moi pas

rabarama, trans-mutazione, paris

4.12.08

le temps perdu



à peine la tête posée sur l'oreiller, le sommeil m'avait avalé comme une baleine gigantesque : le visage me chauffait et l'édredon, par dessus moi, m'habillait d'un gros ventre rouge et rond, la fatigue s'était installée en première classe quand le train, avec une heure de retard, avait finalement quitté la côte, le colis suspect qui dormait dans la seconde rame avait sans doute été innocenté, on se balançait dans l'obscurité à la poursuite du temps perdu, je m'abîmais dans les pages d'un livre qui racontait une histoire que je connaissais de près et à nouveau, à l'approche de paris, le passé se reflétait dans les vitres du wagon, j'avais fermé les yeux sur une nuit d'étoiles, les rêves, généreux, avaient veillé sur moi

2.12.08

les ouvriers



les travaux avaient débuté à neuf heures trente par le déménagement méticuleux de la cuisine dans le salon, opération qui avait étrangement demandé moins de temps qu'on le redoutait, on était étonnamment efficace et motivé, et les cartons s'imbriquaient sans peine et sans condamner nulle facilité de la pièce principale, on avait poursuivi sur l'effort de rentabilité pendant que perceuses et coups de marteaux résonnaient dans l'appartement en réglant séance tenante des affaires qui traînaient depuis des mois, on avait mangé un kebab vers deux heures et bu un café au comptoir en se donnant des coups de coude, on avait retrouvé la cuisine désossée et rutilante, et les ouvriers contents d'eux comme nous l'étions de nous-mêmes, on s'était virilement serré la main en se disant à demain, le sourire aux lèvres et du baume au cœur, on prenait un nouveau départ