30.9.08

le sandwich sur deux étages



la conversation était venue sur la politique française, c'était un exercice fastidieux et masochiste de résumer en quelques phrases forcément subjectives ce qu'avaient été les mesures prises par le nouveau gouvernement et leur répercussion sur la population, la renommée internationale du jeune président s'établissait pourtant à l'étranger, il convainquait l'amérique du nord en important des idées qui avaient fait leurs preuves sur son territoire, je contemplais avec impatience mon sandwich multigrains au bœuf fumé sur deux étages, avant le dîner un suspense efficace et patriotique nous avait tenus en haleine pendant deux heures anglophones — sans sous-titres, au québec on sous-titrait en anglais les films français, désignés en version originale sur l'affiche — qui s'étaient conclues par la remise de médaille traditionnelle au héros populaire et désintéressé, vue de l'étranger la politique française, comme le communisme américain sur écran imax, n'était rien de plus qu'une absurdité amusante et sans fond, qui n'effaçait pas les priorités

29.9.08

l'été indien



je traversais le parc la fontaine pour rejoindre chambord et continuer vers mont-royal, des feuilles d'érable rouges et nervurées jonchaient le chemin là où la veille il n'y avait encore que le bitume, je levais les yeux vers les arbres jaunis, le vert cédait peu à peu la place sous l'effet combiné des vents du nord et de regains de chaleur brutale, l'été indien en vérité brûlait la végétation, on pouvait l'envisager comme une fête des couleurs mais ce n'était ni plus ni moins qu'une guerre de position, à qui du froid ou du chaud prendrait le dessus sur la saison, les arbres flambaient, gelaient, craquaient, dévorés par le feu et la glace, ils souffraient en silence, millénaires et impuissants, j'avais déjeuné sobrement face au combat invisible qui faisait rage le long des rues indifférentes, dans le café une reprise d'autumn leaves, jazz et nostalgique, endormait les hommes

28.9.08

la baie vitrée



je me tenais debout devant la baie vitrée, les ardoises vertes de montréal, l'orange jeune des arbres, sur le pont jacques cartier le flot des voitures dessinait des lignes blanches et rouges à la lumière descendante, l'appartement serait vendu d'ici la fin de l'année, après deux ans passés au québec mon frère liquidait ses affaires et rentrait en france, il avait pris l'avion pour la floride comme on prend le train de paris à deauville, me laissant seul à ma demande quelques jours chez lui, je savais déjà que je ne reviendrais jamais au canada, j'avais renoncé à distribuer mes manuscrits aux éditeurs locaux, je ne voulais pas d'attaches inutiles, je voulais que les fantasmes prennent fin, à plus de quarante ans il était temps de grandir, pourtant la ville m'appartenait, là, elle s'offrait sous les fenêtres à la tombée de la nuit, elle murmurait d'ouvrir les yeux et de profiter du voyage, de ne pas chercher plus loin, ni plus tard, ce que j'avais ici et maintenant, et je restais ainsi, immobile, fasciné, pendant des heures

27.9.08

le fun



j'avais acheté une carte autobus métro hebdomadaire le lundi en prévision de visites que je pourrais faire dans le voisinage mais je n'avais pas le goût de prendre les transports en commun, les stations de métro suivaient la grille nord-sud / est-ouest de montréal en se croisant à mi-chemin des directions qui m'intéressaient, je magasinais donc le long du boulevard saint-laurent jusqu'au mile end qui n'était la fin de rien, mais pour vrai : la porte à côté, à la découverte des cafés bio et d'un restaurant de bagels fameux sur saint-viateur, dans une librairie j'achetais des textes d'alain farah parce qu'il avait écrit dans son roman « arrive la littérature, décampe le monde » et un récit théâtral de jennifer tremblay dont la lecture de quelques lignes m'avait convaincu, je n'avais pas l'accent du québec et je demandais parfois qu'on me répète les choses, mais bon an mal an j'étais à mon aise, il fallait reconnaître que j'avais du fun

26.9.08

l'acadie



la vie au québec enseignait plusieurs leçons : l'insécurité d'abord n'était pas une fatalité, mais bien un argument politique minable, j'abandonnais lunettes, ipod, sac, achats et cartes bancaires sur une table de café pour me rendre aux toilettes et retrouvais sans émotion le tout à mon retour, il n'y avait pas de volets à l'appartement, la porte d'entrée sur la rue était vitrée et se fermait uniquement par un loquet, les richesses du sol territorial ne servaient pas à engraisser l'état mais l'eau coulait gratuitement au robinet et dans les tuyauteries, les serveurs proposaient spontanément un break entre le plat et le café et dans les boutiques, les vendeurs déconseillaient un produit s'il ne venait pas remplir la fonction espérée (ainsi ce sac pour ton appareil photo que je trouvais joli sans réussir à me décider sur la couleur mais qui n'amortirait pas les chocs, me certifiait l'employé sans chercher à me fourguer autre chose), je soupirais : l'acadie était-elle donc réellement la terre promise?

25.9.08

la poutine



la poutine se composait de frites grasses et de morceaux d'un fromage caoutchouteux mais bon, arrosés d'une sauce indéterminée, entre sirop d'érable et barbecue, on pouvait la manger telle quelle mais elle servait de base à toute une déclinaison de plats orgiaques, la tradition aurait voulu que je la goûte classique mais j'y avais ajouté pepperoni, bacon et oignons sautés, la serveuse de la banquise (le spécialiste de la chose) m'avait demandé si je la voulais régulière — traduisez : la portion normale — mais j'avais pris la grande assiette, j'enfournais ma ration avec bonhomie, je mangeais seul, ce n'était ni la première ni la dernière fois mais la découverte du plat typique en l'absence de compagnie ramenait sa consommation à celle du steak frites sur le pouce du parisien célibataire, je vivais à montréal au même titre que les autres habitants, je ne m'étonnais de rien

24.9.08

la pédale



c'était comme une chape de plomb sur les épaules, ça partait de l'occiput et descendait sur la nuque, d'abord du côté droit que ça paralysait, puis ça s'étendait au côté gauche, ça ressemblait au coussin que l'on propose dans les avions afin de faire un somme sans se briser les cervicales, sauf que la douleur martelait déjà les vertèbres et piquait en interne vers la base du crâne, je cherchais à noyer la gêne dans un film sur grand écran ou dans un livre particulièrement sensible, mais pareil aux mains déterminées d'un inconnu sur mon cou, l'étau se resserrait, dans la soirée des étudiants bourrés avaient crié sur mon passage : pédale, j'avais baissé la tête en continuant mon chemin et en me persuadant que ça ne s'adressait pas à moi, je prenais conscience que quelque chose n'allait pas

23.9.08

le déjeuner



après la douche, j'emportais ma tasse de thé et quelques biscuits sur la terrasse en prenant soin de me tenir fermement à la rambarde extérieure, l'escalier en colimaçon était vissé à la façade arrière du bâtiment qui ne comptait que trois étages, mais comme sherbrooke coupait la colline, les marches en fer forgée ajourées donnaient sur la cime d'arbres qui prenaient racine beaucoup trop bas pour que je m'y intéresse depuis cette hauteur, je déjeunais face à montréal sur trois cent soixante degrés en tentant d'oublier que le moindre faux pas dans la descente me précipiterait dans le vide, je me rassurais en fixant mon attention sur le centre hospitalier qui occupait la rue suivante, les urgences s'ouvraient sur la traverse derrière la maison, le tout serait d'attirer suffisamment l'attention en chutant pour ne pas agoniser bêtement sur le pavé, je décidais que la construction avait été pensée avec sagesse en regagnant à pas précis l'appartement

22.9.08

le permis de conduire



j'avais récapitulé les vitesses automatiques, la pédale du frein enfoncée au démarrage et le code de la route québécois, je prenais en compte l'intrépidité des cyclistes, la priorité aux piétons, aux bus municipaux et aux transports scolaires qui, lorsqu'ils déchargeaient les enfants, obligeaient à l'arrêt non seulement les véhicules qui les suivaient mais également ceux d'en face, traverser une voie à double-sens pour emprunter une perpendiculaire demandait le respect d'un feu vert clignotant qui indiquait que la file opposée était, elle, bloquée par un feu rouge, il fallait savoir que les montréalais conduisaient sans état d'âme et que personne n'interrompait jamais sa route pour permettre de quitter son stationnement, j'avais pris une grande inspiration et je m'étais glissé dans le flux des voitures avec la certitude d'être recalé quand je rendrais les clés, j'avais finalement fait une prestation honorable, mon permis de conduire international, que j'avais oublié à l'appartement, ne me serait pas retiré

21.9.08

les troubles de voisinage



la fête battait son plein, les voix et le choc des bouteilles montaient depuis la cour intérieure, ils avaient scotché des petits papiers sur les portes adjacentes à la leur pour prévenir du bruit probable, donner leur numéro de téléphone si, l'alcool aidant, ils dépassaient les bornes ou mieux encore, que les voisins viennent boire avec eux, le mélange d'anglo-américain et de français aux accents du québec entrait dans la chambre avec l'air frais de la nuit, je n'allais pas les rejoindre mais puisque je les entendais de toute façon, autant ouvrir grand les fenêtres et inviter leurs présences en retour, je fermais les yeux dans l'obscurité, il y avait deux manières de se confronter aux troubles de voisinage, je découvrais étonné que j'avais aussi la seconde en moi

20.9.08

les livres de paul auster



j'apprenais la ville en dessinant des carrés chaque fois plus grands, j'agrandissais mon périmètre de jour en jour, je ne regardais pas au kilomètre, j'engrangeais les artères et les intersections autour du mont-royal en faisant fi de la fatigue qui s'accumulait pourtant dans les muscles, mes pas m'avaient ainsi conduit à la rue durocher qui s'interrompait au sud du parc pour renaître au nord, j'avais pendant un court instant nourri l'illusion qu'il s'y trouverait un élément qui me rappellerait la rue (presque) éponyme que j'habitais à nice mais, comme dans un livre de paul auster, il n'y avait rien à trouver et j'avais abandonné ma quête pour une autre aussi insensée que la première et qui ne donnerait pas davantage de résultat — je rentrais finalement la tête vide, avec l'impression de ne pas exister et j'en acceptais la possibilité en m'endormant sans rêve

19.9.08

le banc au soleil



j'avais choisi un banc au soleil dans le parc la fontaine, j'avais mis des chaussures ouvertes et un polo à manches courtes, je parcourais une carte de la ville pour en apprivoiser la symétrie, je levais les yeux de mon étude quand un vélo passait, ou bien une voiturette, une charrette où des enfants harnachés comme sur un manège étaient promenés par des jeunes gens enthousiastes, un cortège de femmes derrière leur poussette qui, haranguées par une meneuse de troupe, pliaient simultanément genou et bras opposés en tentant de garder le rythme, canards, goélands et écureuils curieux s'approchaient dangereusement de moi en quête de nourriture, j'avais rejoint une rue commerçante en enfilant mon blouson, certain que ça n'allait pas durer

18.9.08

les cartes postales



j'avais acheté quatre cartes postales, il fallait bien commencer quelque part, j'avais pris neuf timbres au lieu des dix demandés parce que ça arrangeait le vendeur, j'étais troublé par la vision de la ville à travers d'autres yeux que les tiens, les couleurs étaient trop vives, artificielles, les points de vue sentaient la retouche à plein nez, je regardais montréal comme tu l'aurais fait mais tes clichés ne viendraient pas cette fois-ci confirmer ce que j'y avais vu, il fallait travailler autrement, je décidais de ne pas envoyer les cartes postales, du moins : je te les envoyais, à toi seul, pour que tu mesures l'étendue du drame, ce n'était pas punir que de ne pas écrire de carte, c'était dans ces conditions — et sans tes images — l'inverse qui l'aurait été

15.9.08

les mathématiques



j'avais des problèmes mathématiques sérieux, je partais à dix heures du matin, j'arrivais à montréal à midi et demi, sachant que le vol durait huit heures et demi il serait alors dix-huit heures trente en france, ne restait qu'à soustraire l'heure canadienne de l'heure française pour obtenir le décalage horaire que je savais de six heures, ça semblait simple, pourtant j'avais fait le calcul plusieurs jours d'affilée et j'obtenais toujours quatre, il semblait que dix-huit à qui l'on enlevait six donnât deux, ou quatorze, je ne savais plus, je recommençais en comptant à reculons à partir de six heures du soir mais en vain, j'avais abandonné lorsque j'avais compris que l'incapacité arithmétique protégeait mon esprit de la peur de l'avion, le lendemain je savais à nouveau compter : le lexomil coûtait deux euros soixante-six et était remboursé à soixante-cinq pour cent par la sécurité sociale

12.9.08

le chantier



il fallait être efficace, tendre des câbles par-dessus les vides, il y avait un travail à faire ou à réinventer, il fallait se confronter aux mots et aux phrases, il fallait relire, corriger, mettre en forme, il fallait relire encore, traquer la faille, fatiguer les yeux et les disque-durs qui, par lassitude, finissaient par abdiquer dans un ronflement de vieil avion usé, je m'entêtais, je visais haut, je partais, certes, mais les manuscrits partiraient avec moi, ils emprunteraient d'autres lignes, aériennes ou virtuelles, mais l'important était là : il y avait des chantiers à mettre en œuvre, il fallait être lu et je serrais les mâchoires — le dentiste avait fixé le prochain rendez-vous à janvier, satisfait de son examen, les douleurs n'avaient pas d'origine somatique, avais-je des soucis?

10.9.08

on



tu attendais dans le salon mais à une semaine du voyage au canada, je ne parvenais pas, ironiquement, à décoller, l'écriture me clouait au sol, elle cherchait des justifications qui n'en étaient pas, elle théorisait en pure perte, elle interrogeait la création commune à six mille cent trente-six kilomètres pour n'en dire que ce que l'on savait déjà, elle pérorait sur le couple et se noyait entre pathos et fleur bleue, j'accumulais les notes anecdotiques, tu lisais en secouant la tête, "on" avait ses limites qui ressemblaient à des frontières, des pointillés imaginaires qui reliaient une ville à l'autre, un être à l'autre, mon pronom personnel au tien

7.9.08

le billet d'avion



on avait des amis à londres, en hollande, à prague, à paris, en illinois, à monaco, on avait visité budapest, new york, boston, turin, milan, j'avais détesté vérone, pise, marrakech, on se remémorait salem, assise, la toscane, la tunisie, le thalys et l'eurostar, bruxelles, amsterdam et bruges, j'avais eu grâce à internet des contacts en grèce, en suède, en australie, à naples, à nashville, en floride, à la nouvelle orléans, saint louis et bâton rouge, tu étais allé en crète, en corse, en sicile, en sardaigne, en espagne, tu avais séjourné à chicago, à detroit, à capri, je connaissais washington, wimbledon, genève, le lac de côme, l'océan indien, les chutes du niagara, les baléares, toulouse et barcelone, le rhône et la saône, mon frère vivait à montréal, j'avais acheté un billet d'avion pour le canada

4.9.08

les épaules



«why would i carry such a weight on my shoulders ?
why do i always help you carry your boulders ?
you wonder why i carry such a weight on my shoulders
and why would i tttts such a load»
the dø, on my shoulders

2.9.08

les sacs



on avait des petites manies qui nous étaient personnelles, dont on ne parlait jamais parce qu'il n'y avait rien à en dire, mais qui disaient pourtant beaucoup sur nous, je rangeais par exemple mes sacs sans les vider, du moins j'y laissais des papiers qui témoignaient des moments que j'avais vécus avec eux, et lorsque je les utilisais à nouveau, leur contenu dessinait une cartographie du passé, mes sacs, mis bout à bout, écrivaient eux aussi un livre qui me racontait, toi au contraire tu vidais les tiens méticuleusement, tu leur rendais leur virginité, tu n'abandonnais rien de toi derrière — ce n'était pas un hasard si c'était toi le photographe et moi l'écrivain