30.8.08

batman



on avait passé les portes du magasin dès l'ouverture et, sachant ce que l'on voulait et où le trouver, on avait pris le sens de circulation à l'envers, pensant que ça ne dérangerait personne à cette heure matinale, depuis sa caisse une vendeuse nous avait rabroués, j'avais plaidé calmement ma cause mais elle était intraitable sur la marche à suivre et on avait fait demi-tour sans rien acheter, à la poste le préposé avait refusé de te donner le recommandé que tu venais chercher parce que tu n'avais pas ta carte d'identité et que c'était im-pé-ra-tif, on avait subi une centaine de feux rouges et la conduite absurde des niçois depuis le retour, les roues des poussettes sur les talons nus et des épaules de déménageur dans les côtes sur les trottoirs de la ville, heureusement batman veillait toujours sur gotham city

28.8.08

le landau



on buvait un café dans le vieux nice, tu m'avais laissé en terrasse pour aller prendre des photos, je terminais le livre de mazarine pingeot sur l'infanticide que je trouvais intelligent et nécessaire au regard de la façon dont les médias utilisaient le fait divers comme exutoire, une jeune mère avait choisi sa table à côté de la mienne, elle avait abandonné la garde de son landau au serveur pour aller aux toilettes, le serveur m'avait refilé le bébé sans complexe, entre mes mains le crime impardonnable et l'acte d'amour extrême se confondaient tandis que dans mon angle mort deux minuscules pieds bataillaient avec un mobile en peluche, tu avais dit en me retrouvant que tu avais bien travaillé, je gardais le silence en pensant que moi aussi

26.8.08

le treize heures



on payait le litre de gazole un euro vingt-huit au carrefour de bourges, mais un quarante sur les aires d'autoroute qui dépendaient de la même enseigne, on avait traversé moulins, roanne, franchi le pin bouchain, on avait perdu la verdure fraîche sous le tunnel de fourvière et on était arrivé à nice aux alentours de minuit, on avait observé les lumières extra-terrestres sur le stade de l'ouest, la presse faisait le lendemain sa une sur le concert d'une star de variété internationale, on ne parlait ni du prix exorbitant des places, ni de celui, extravagant, de l'essence, on avait mis la voiture au garage et comparé les coûts de l'aller et du retour, les impôts me remboursaient une somme coquette en compensation d'un trop versé, on tenait enfin un sujet pour le treize heures de jean-pierre pernaut

25.8.08

la forêt



la forêt, à l'image d'une barrière de montagnes infranchissables, écrasait, on était emprisonné en son cœur, les arbres autour de soi en barreaux serrés isolant des profondeurs noires des bois et de la curiosité des bêtes, on s'interrogeait devant les troncs immenses jetés sur la clairière comme les membres arrachés — mais par quelle force phénoménale? — d'animaux gigantesques et effrayants, on s'était réveillé sur une route nationale, tu proposais que l'on fasse marche arrière mais la forêt nous avait laissé filer une fois, je sentais que l'on n'aurait pas une seconde chance

22.8.08

la chaîne alimentaire



on travaillait dans le salon au premier étage, fenêtres ouvertes sur la pleine lune, trois chauve-souris dessinaient des cercles par-dessus nos têtes, leurs membranes soufflant l'air aux oreilles lorsqu'elles nous frôlaient en riant, l'après-midi près de l'étang on avait été suivi par une grenouille sportive, dans le grenier mansardé un zèbre en débardeur se prenait pour un kangourou, on prévoyait des crevettes en sauce au déjeuner et un lapin à la menthe pour le dîner, on se couchait dans l'herbe sans appréhension, on courait les bois sans peur, on acceptait notre place dans la chaîne alimentaire

20.8.08

les chambres



le château courait sur trois étages et desservait une dizaine de chambres, dont la moitié n'était plus praticable, tapissée de toiles d'araignées et de mouches mortes, on s'étendait sur des matelas usés, on s'accrochait aux têtes de lit rouillées, on jetait vers le ciel blanc des regards de supplicié en imaginant des scénarios improbables, on noyait les désirs sous le courant invisible de vieux robinets sales en se rappelant un passé où les rires des enfants et les soupirs des adultes se confondaient, on avait souhaité être grand de toutes ses forces, mâchoires serrées sous des draps tachés, et maintenant que l'on y était arrivé, qu'y avait-on gagné?

18.8.08

les feux de l'amour



on emportait systématiquement trop de choses, du travail en cours, des dvd en retard, des livres en attente, je me chargeais de méthodes de langue persuadé que je trouverais à la campagne le temps d'en avancer enfin l'apprentissage mais le rythme des vacances était calqué sur celui des repas, les courses à faire et la diffusion des feux de l'amour que ma grand-mère suivait depuis de nombreuses années, davantage pour être fidèle à une image d'elle que sa famille aimait colporter que par réel intérêt et je la regardais fermer l'œil pendant les épisodes dont elle avait lu le résumé à l'avance pour ne pas être prise à défaut, et s'indigner ensuite parce que les femmes de victor ne lui laissaient vraiment pas une seule minute à lui

16.8.08

les hommes



on apprenait aux actualités que la chasse au sanglier était ouverte en corse, dans le nord deux policiers avaient fait irruption par erreur dans un appartement, abattu un chien et blessé sa maîtresse, on entendait ailleurs qu'un flic avait simulé un cambriolage et s'était tiré une balle dans la jambe pour passer pour un héros, on avait assisté à un mariage berrichon, après la cérémonie des hommes en noir, fusils au bras, tiraient à blanc vers le ciel, le visage réjoui, le canon dressé, rigide, les coups de feu arrachaient frissons et cris de joie, on buvait du vin rouge au son du cor en reluquant la mariée, sans doute se demandait-on si le nouvel époux serait à la hauteur, sans doute ceci expliquait-il cela

14.8.08

le mauvais rêve



on portait des pantalons, des chaussures fermées, des manches longues, parfois même des pulls, on visitait des châteaux, des églises romanes, des abbayes restaurées, on traversait des champs jaunes paille, tournesol, blé coupé ou colza, on longeait des allées de tilleuls et de marronniers agités par un vent froid, on arrivait en ville par des routes ombragées, on achetait l'emploi du temps de michel butor pour un euro chez un vieux bouquiniste, on entendait dire que le sud étouffait, on dormait sous un duvet et on se levait frais, reposé, on décidait que l'été n'était qu'un mauvais rêve et on en oubliait l'existence

12.8.08

la coupure d'électricité



depuis la coupure d'électricité, tout allait de travers : l'horloge du village sonnait dix coups à la demie et trois quand il était huit heures, les prises de courant du château se révoltaient, elles se redistribuaient de façon aberrante et faisaient corps contre les appareils, la pluie s'abattait sur soi dès que l'on mettait un pied dehors et s'arrêtait à l'instant où l'on passait la porte, le four ne chauffait pas, le congélateur décongelait, on se rêvait en trop plein, immense sur la campagne verte ou au contraire minuscule, avalé par la végétation, on cherchait en vain la potion, le fusible ou la clé qui rétablirait l'ordre des choses, on redevenait des enfants

10.8.08

la campagne



l'alerte orange avait été levée dans l'après-midi qui avait suivi la tempête, mais le courant n'avait pas été rétabli, on était allé aux nouvelles, un poteau avait été brisé par le vent, dont les fils plongeaient dans l'eau verte de la grenouillère, on avait dîné aux chandelles dans la grande salle à manger, le lendemain on se lavait à l'eau froide, les mains en coupelle pleine jusqu'aux aisselles, l'aine, le visage, les parties sensibles, on désespérait en voyant le week-end arriver sans électricité, on aimait la campagne certes, mais jusqu'à un certain point

6.8.08

les limites



de son vivant, mon oncle se targuait d'effectuer le parcours entre cannes et bourges en moins de six heures, il conduisait une renault espace, et plus tard sa twingo tambour battant, il pulvérisait des records comme s'il n'avait pas de temps à perdre, ce que l'avenir allait confirmer, on était parti à huit heures du matin pour éviter la chaleur, on avait pourtant cuit une heure dans la voiture immobilisée par un camion en travers des trois voies de circulation que les services de la route ne parvenaient pas à dégager, on était arrivé à destination à vingt heures en respectant les limitations de vitesse et les pauses réglementaires, on n'était pas pressé de mourir

3.8.08

l'incitation



pendant la semaine j'avais eu l'impression de développer une carie, le dimanche, une cavité s'était formée sur l'une des molaires que venait compléter la même sensation de la pointe de la langue sur une canine, la douleur envahissait à présent la dentition, elle gonflait le palais pour un aphte inédit — je n'y étais pas sujet —, tu avais souri en me rappelant qu'à chaque veille de départ c'était la même chose, la perspective du voyage m'envoyait chez le dentiste en urgence, et pour rien, on partait à la campagne, en territoire pourtant connu, je rejoignais des rhinites allergiques familières et des accidents domestiques courants, m'incitait-on en haut lieu à garder bouche cousue?

1.8.08

la surenchère



après qu'un homme avait oublié son fils dans sa voiture en plein soleil, un deuxième agissait de même, puis un troisième dont l'enfant était sauvé in extremis, une femme confessait avoir brûlé son nouveau-né, un garçon de onze ans était poignardé de quarante coups de couteau, la presse abreuvait les masses de détails croustillants, elle affolait les anciens qui n'avaient jamais vu ça — on leur rappelait landru, le docteur petiot, la tragédie de lurs, on demandait ce que la presse d'alors en avait fait, on imaginait ce que celle d'aujourd'hui en ferait —, la surenchère était de mise, le pouvoir d'achat baissait, il fallait trouver de nouveaux coupables