30.6.08

la stratégie



on prenait l'habitude de déconnecter les appareils du secteur, avec la température en constante augmentation les prises chauffaient ainsi que les ordinateurs, on les emportait près d'une fenêtre, sans fil, et on se mettait à la tâche, je laissais de mon côté la batterie courir jusqu'à son terme, sa dernière limite, avant de la raccorder à la prise murale, ce que j'oubliais systématiquement de faire quand le travail ne me satisfaisait pas : je perdais ainsi parfois plus d'une heure d'écriture que je n'avais pas sauvegardée, c'était plus facile que d'interrompre en cours et de me rendre à l'évidence que ce n'était pas bon, je ne râlais même pas, j'avais pleine conscience de mes stratégies

29.6.08

le détachement



le vernissage, lisait-on, consistait à enduire une surface mate d'une glaçure transparente, c'était la touche finale au travail artistique préalable qui avait abouti à l'œuvre, l'exposition était belle, certes, les gens se pressaient dans les jardins et les galeries, ils échangeaient sourires et commentaires, on découvrait de nouvelles expressions sur des visages familiers, il était difficile de se positionner dans ces conditions, sans doute avec un peu plus d'entraînement, de rodage à l'exercice s'en détacherait-on avec indifférence, on apprenait plus loin que le vernis conférait une apparence brillante mais superficielle, j'avais un faible pour les conjonctions

27.6.08

la chaleur



la silhouette était masculine, la chevelure blonde, exagérée, un simulacre, le second personnage était face au premier, le dos à la balustrade, en équilibre au dernier étage de l'immeuble, de ma fenêtre éclairée j'avais observé la scène, le malaise tenait de ce que les mains de l'homme semblaient serrées autour du cou de l'autre qui se débattait, la distance empêchait d'être sûr, j'avais interrompu mes pensées quand le regard du blond s'était fixé sur moi, j'avais reculé, éteint la pièce, lorsque j'avais vérifié à nouveau l'homme était derrière la baie vitrée, concentré sur ma réapparition, l'autre avait disparu, je m'étais couché, effrayé, tu avais dit alors qu'on allait souffrir cette nuit, tu parlais de la chaleur mais je savais ce qui nous attendait

25.6.08

l'insomnie



l'insecte cognait murs et plafond, attiré par le halo de lumière que dessinaient un néon ici, une lampe tamisée là, j'avais fait preuve de patience en éteignant le premier mais la bête insistait, je prenais une revue pour la chasser mais le geste incontrôlé la sectionnait, cent dix couperets de papier avaient rencontré la mouche qui, encore accrochée au mur blanc, déclinait son anatomie en tranches obscènes, j'avais lâché la revue, horrifié, la mort affichait sans pudeur son absurde réalité dans le salon, je n'avais pas pu dormir — au matin, un pigeon paniqué battait des ailes dans un fracas épouvantable, pris au piège entre la vitre et le même mur, son œil rivé à la trace, je l'avais délivré sans oser le regarder, fautif

24.6.08

les cendres



«à force de malentendus je suis mal-entendant
et ces déjà-vus me rendent malveillant
je ne fume plus mais je pars en cendre
combien de temps me faudra-t-il encore t’attendre»
émilie simon, en cendres

23.6.08

la souplesse



il arrivait que je parle pour rien : une fois la première idée fausse lancée, je me rendais compte trop tard que j'avais fait une erreur ou dit quelque chose sans réfléchir, au lieu de faire marche arrière je m'enferrais, je m'embourbais, je poursuivais à la recherche d'un fil conducteur que je finissais par trouver pour justifier la position erronée, je m'en voulais ensuite d'être retombé sur mes pattes à l'endroit opposé de celui où l'intelligence ou tout simplement le bon sens aurait dû me faire atterrir, je n'avais pas de mérite, juste de l'entraînement — et de qui tenir

22.6.08

la performance



la fête de la musique rassemblait les foules autour de concerts improvisés le long des avenues et de boîtes de nuit de fortune, dressées à-même les terrasses des restaurants, on avait tourné le dos aux basses survoltées et on s'était engagé sous un porche sombre au plafond bas, on avait salué en silence, on s'autorisait un sourire parfois, une complicité dans la performance, on ne jouerait pas de la musique dans le petit garage lumineux mais l'on y dirait des mots, on murmurerait ou on hurlerait selon le désir éveillé, le besoin ressenti, on se frôlerait ensuite, abandonnant sa place au profit d'un autre, une main sur l'épaule en signe de félicitations ou d'encouragement, la soirée s'était terminée bien après les derniers accords des musiciens, la ville, muette, résonnait de nos pas affirmés

20.6.08

le combat capital



lorsque le téléphone fixe n'affichait pas le numéro de l'appelant, on devinait que c'était un organisme publicitaire qui démarchait, c'était facilement identifiable au décrochage dans la mesure où le correspondant massacrait ton nom ou demandait à parler à madame, on ne faisait preuve d'aucune patience à son endroit et on inventait des drames grandiloquents dans le but de désarçonner l'interlocuteur, on espérait ainsi qu'il rayerait ton nom de sa liste mais les appels se multipliaient au contraire, les voix changeaient, la présentation se faisait à la fois plus précise et plus méprisante, on raccrochait, amer, avec le sentiment d'avoir perdu un combat capital dont les enjeux, cependant, se dérobaient

18.6.08

l'averse



la crise, pareille à une averse brutale, déferlait sans crier gare, elle aveuglait, crépitait, déformait, il n'y avait plus de perspective, aucun paysage familier à travers le carreau délavé, elle disparaissait comme elle était venue, le ciel se dégageait soudain, les larmes séchaient sur la vitre et là, à mes côtés, reconnaissable et fidèle : toi

richard long, white water falls, mamac

17.6.08

le dos au mur



on passait la journée dans l'appartement, j'avais peur de la ville, sa traversée me contrariait invariablement, on habitait le dos à la colline, on ne pouvait qu'aller de l'avant, entre la mer à droite et la montagne à gauche la ville était géographiquement prise au piège et on l'était avec elle, je me coupais de sa rumeur en portant un ipod à chacun de mes déplacements, sans l'aide de la musique la ville m'était insupportable, je cachais mes regards derrière des lunettes noires, pour une raison mystérieuse nice ne me voulait pas du bien, je décidais de ne pas la provoquer outre mesure

richard long, maritime spiral, mamac

15.6.08

la série policière



le crime ouvrait sobrement le bal, l'heure n'était plus à la surenchère d'hémoglobine, il fallait faire place à l'enquête, à sa méticulosité froide, de l'autopsie aux résultats, on mettait en lumière les failles du système, certes on arrêtait les suspects mais c'était davantage l'interrogatoire que le mobile qui captivait, la série policière ne cherchait plus à choquer mais à enseigner, on zappait de morgues en commissariats, de bureaux du procureur en salles d'audience, si l'information avait renoncé à son rôle pédagogique, la fiction se chargeait de l'éducation des spectateurs, à terme on bénéficierait d'un véritable savoir-faire

14.6.08

le genu varum



il y avait un moyen mnémotechnique pour différencier l'éloignement des genoux ou leur rapprochement pathologique, il ne servait à rien, comme c'était le cas en regardant l'homme marcher devant soi, de se dire que celui-là avait fait trop de cheval dans sa jeunesse pour en retenir la nomenclature, on pouvait se figurer par contre la forme d'une bouteille d'alcool entre ses jambes, le var(h)um ne se confondait plus alors avec le valgum, la médecine avait posé ses jalons sur ma mémoire, la fréquentation des bars avait fait le reste

12.6.08

l'encadrement



le moteur de recherche sur lequel j'entrais ton nom, en quête d'une mention de l'exposition à nice, ouvrait d'abord sur le travail que l'on faisait ici en commun avant de s'attarder sur le rôle pédagogique que tu avais joué pendant tes années d'activité, on y parlait bien d'encadrement et je m'étais arrêté sur le mot, satisfait, avant de comprendre que ce n'était pas de tes photographies qu'il était question mais de tes anciens élèves, après réflexion on avait intitulé et le blog et l'exposition l'emploi du temps, il ne fallait pas s'étonner si internet y perdait son latin

10.6.08

la forme nouvelle



l'écriture avait cette faculté toute particulière de servir plusieurs desseins : ainsi avais-je sauvegardé cette lettre de réclamation à adresser à un prestataire dont les résultats ne me convenaient pas, bien que j'aie su alors que je ne l'enverrais jamais, pour en découvrir le titre prophétique en évidence sur l'écran de mon ordinateur et, une fois remaniée pour la commande qui m'occupait l'esprit, me rendre compte que sa forme nouvelle disait mieux que la précédente toute l'absurdité du conflit qui m'avait opposé au service — je ne l'envoyais pas davantage cela dit

9.6.08

le crime abominable



le week-end avait attendu malgré soi l'arrivée de courriers électroniques sur les messageries de l'un et de l'autre : il y avait une actualité qui, si elle n'allait pas changer la face du monde artistique (du moins, de prime abord), était à nos yeux remarquable, on avait donc gardé les ordinateurs allumés pour ne pas en perdre une miette mais un silence borné avait plombé les appareils et le moral jusqu'à ce qu'en désespoir de cause, on se décidât à tourner le dos à l'informatique pour s'abîmer dans les crimes abominables que proposait la télévision du dimanche soir, savourant sans se l'avouer des vengeances indicibles à l'égard de tous ceux qui, occupés ailleurs, nous avaient abandonnés

7.6.08

les apparences



le cheveu était blanc, coupé court, l'œil bleu, vif, la mine joviale, inchangée, l'accoutrement tout en couleurs de saison, un polo rayé qui illuminait la présence sympathique, on avait échangé quelques informations et on avait appris que le cerveau souffrait, la médecine intervenait, la chirurgie y allait de ses techniques de pointe pour que le corps survive, l'homme avait ri en résumant la situation, il attendait sagement que ça passe, on s'était quitté sur une orchidée fuchsia, on savait d'expérience que les apparences sont parfois trompeuses

5.6.08

l'accrochage



l'accrochage des photographies de new york avait demandé cinq heures, du choix définitif des clichés à la mise en place rigoureuse des cadres le long de la galerie, je n'avais pas repris le travail à la librairie mais sous ton œil d'artiste, je m'y affichais, américain pour un mois supplémentaire, on avait fêté ta première exposition personnelle au mac do, avec le décalage horaire c'était la fin de la matinée dans la grosse pomme, on était quasiment raccord

jeanpierre paringaux, l'emploi du temps, fnac de nice

3.6.08

le service-client



la livraison était prévue pour le lundi matin, du moins le courrier électronique reçu le samedi stipulait-il que les services postaux avaient enlevé le paquet en urgence et le livreraient dans un délai de vingt-quatre heures, dimanche non-compris, on avait donc attendu sagement à la maison jusqu'à ce qu'un nouveau mail, le lundi après-midi, se félicite de l'expédition immédiate du colis et nous prévienne qu'on le recevrait le jour suivant, j'avais appelé le service-client pour savoir s'ils se foutaient de moi, lorsque l'on m'avait souhaité en réponse une bonne journée j'avais compris que c'était le cas

2.6.08

le nouveau corps



on s'était levé de bonne heure, j'avais commencé la journée en faisant des exercices de musculation devant la fenêtre ouverte, mon corps ne comprenait pas ce qui se passait, il hésitait entre souffrance et plaisir d'être mu, un petit-déjeuner spartiate avait suivi, tu m'avais demandé si j'avais conscience du jour particulier que l'on vivait, je ne voyais pas, dans un grand magasin du centre ville, avais-tu repris, des vendeurs de produits éditoriaux faisaient leur boulot qui n'était plus le mien, j'avais porté la main à la bouche sous le coup de la surprise, soudain j'étais neuf

1.6.08

l'indiscipline



on s'était installé sur deux fauteuils en face à face, autour de nous des oiseaux invisibles se répondaient en écho, le son passait d'un jardin à l'autre, exotique et urbain, on était entré dans l'appartement et on s'était cette fois assis côte à côte à même le sol, les voix ricochaient contre les murs blancs depuis des cubes carrés à l'œil vert, elles se mêlaient aux mots inutiles de ceux qui n'entendraient jamais mais dont la présence était aussi bruyante qu'inévitable, sur un canapé rouge un artiste fermait les yeux, attentif, et sa concentration silencieuse valait à elle seule mille échanges