28.11.07

l'inauguration



on avait compté le nombre de personnes qui s'entassaient sur le quai, c'était mathématiquement impossible, le tramway était arrivé en carillonnant gaiement, rempli jusqu'à la gueule, il s'était immobilisé pour libérer les rares usagers qui avaient atteint les uns leur but, les autres leur limite, le long de la rame ça affluait pour monter dans le wagon, ça y allait de son enfant, de son chien, de sa poussette ou de son caddie, tout ce que ça tenait à la main était susceptible de garantir l'accès, en mordant ou en blessant si besoin était mais il fallait être de l'inauguration, la gratuité du week-end n'était qu'une excuse, on se remémorait avec nostalgie les images des métros parisiens aux heures de pointe, ç'aurait été dommage quand même de ne pas en profiter, on avait rejoint le troupeau en poussant à notre tour, sourires écrasés contre des bras levés, les portes s'étaient refermées sur nous, l'humanité glissait sur ses rails, étouffée, comprimée, absurde et victorieuse

23.11.07

la bonne nouvelle



on avait lu un article sur un crime qui avait eu lieu dans un train entre strasbourg et nice, la victime portait son nom, on était sûr que c'était lui, personne n’avait eu de ses nouvelles et on se souvenait qu’il venait du nord, on s'était pourtant reconnu immédiatement, on était tombé dans les bras l’un de l’autre, il avait changé de quartier, il avait un enfant de deux ans, le temps filait, j’étais ému, il racontait sa vie, je voulais lui dire qu’il était vivant mais ça ne venait pas et manifestement lui n’en avait aucun doute, on s'était quitté sans échanger nos numéros de téléphone, ce n’était pas nécessaire, les morts revenaient, c'était une bonne nouvelle

20.11.07

la vie active



on avait pris la marche à contre-courant, on avait méthodiquement remonté le flux des mécontents qui arpentaient les avenues niçoises encombrées de travaux, le sourire aux lèvres malgré tout parce qu'après les menaces de la matinée, le soleil était au rendez-vous, on avait tapé dans les mains, marmonné les paroles de deux ou trois chansons en signe de support, on voulait une place adéquate le long de la manifestation, trop loin sur le trottoir c'était le risque d'être assimilé aux passants indifférents, méprisants ou opposés à la grève mais trop près on perdait le point de vue, on se faisait croire que l'on cherchait quelqu'un mais la vérité c'était qu'il nous fallait une excuse pour participer à la vie active puisque nous n'en étions plus, aux côtés de ces gens que l'on traitait de flemmards tous les soirs à la télévision parce qu'ils en avaient assez de travailler plus pour gagner pareil

14.11.07

la compensation



on avait fait un tour au pays du troisième âge, tu avais tendu quatre doigts en souriant, on faisait sagement et très, très lentement la queue dans ce magasin de sous-vêtements aux vertus calorifiques reconnues, on avait eu une réduction de trente pour cent sur le premier article, une de vingt sur le second, on avait gagné en prime la même couverture en polaire que les trois clients qui étaient passés avant nous et sans doute les dix qui suivaient, on était sorti de la boutique en arborant fièrement le sac à son enseigne, on avait eu un avant-goût de la carte vermeille, ça ne changeait pas grand-chose au fond, d'une communauté à l'autre l'humanité passait sa vie à s'exclure elle-même, on parlait de civilisation mais tout n'était que question de pourcentage et de représentation sociologique, on avait au final tous la même chance d'être mort, une statistique parfaite, du cent pour cent garanti, au moins il y avait une compensation

7.11.07

l'affaire de famille



on avait fait fondre le beurre avec le sucre, on avait ajouté deux œufs, on avait mélangé le tout jusqu'à obtention d'une pâte homogène, on avait saupoudré les noix hachées, on avait mélangé à nouveau, on avait étalé le tout sur un fond de tarte, on avait recouvert de quartiers de pommes, mis au four, on avait laissé cuire vingt minutes, l'appartement sentait bon la cuisine pendant qu'on lisait à quelques mètres l'un de l'autre, on se souriait par dessus les magazines, on atteignait des degrés de complicité inédits, on n'ouvrirait jamais un restaurant mais c'était cependant une affaire familiale qui tournait, on avait même deux tabliers assortis, un vert et un jaune, que l'on gardait dans le placard, au cas où