6.2.07

ultime



la question revient souvent du rythme, de la cadence donnée, la question revient souvent du temps alloué à l'écriture, à la réflexion qui précède la note, la question est posée de la discipline, de l'abnégation, du stock photographique que cela demande, de la concordance entre l'écrit et le visuel, du modus operandi, la question demeure de la volonté, de la constance, la question tourne autour de la rigueur, d'une vision esclavagiste de l'art qui contraint à la création, à la rentabilité, ne sont évoqués que très rarement la satisfaction, le plaisir, le moment où la note est postée, le doigt sur la souris qui caresse et la page qui se déploie, qui s'offre dans son intégrité, dans sa cohérence, dans sa réussite, la question se pose alors de la lecture, de la réception, de l'éventuelle publication, du passage, de la transformation, de l'évolution, de la fin, de la mort, les questions reviennent, jamais les réponses

"l'emploi du temps", février 2006 - février 2007
© textes : laurent herrou / photographies : jeanpierre paringaux

5.2.07

écrire



«écrire consiste à brouiller les pistes de telle façon qu'il ne soit plus question même pour moi de refaire le chemin à l'envers»
frédéric berthet, journal de trêve

4.2.07

l'avance



on avait pris de l'avance, la note de lundi serait une phrase tirée du journal d'un auteur que j'étais en train de lire, on disait de lui -du moins c'était écrit en quatrième de couverture- que c'était sans doute l'une des voix les plus talentueuses de sa génération, pourtant son nom n'évoquait rien chez personne, le texte était difficile mais la mort de l'écrivain donnait à chaque phrase une valeur prophétique, la note du mardi concernerait l'exercice, l'écriture du blog (littéraire comme photographique) et sa réalisation quotidienne, on s'était demandé au réveil ce que le dimanche proposerait, seulement l'avance avait cela de dramatique qu'elle ne permettait pas à la vie de suivre son cours normal ou spontané, les événements se construisaient obligatoirement autour du futur annoncé, il n'était plus question de vivre mais de remplir les vides, il fallait faire la jonction, du point de départ au point d'arrivée, s'il y avait un choix possible, c'était encore sur la trajectoire, mais qu'on le veuille ou non, le destin était scellé

3.2.07

l'entretien



l'appartement était rangé, propre, tu t'étais acharné sur les taches de graisse qui couvraient la cuisinière, la poussière dans la salle de bains et les toilettes, derrière la cuvette, dans les recoins où il était difficile d'accéder avec l'aspirateur, tu avais décidé que tu ne partirais pas, tu ne prendrais aucun avion, aucun train, tu n'arpenterais pas les trottoirs d'une ville étrangère ni les boutiques d'une capitale connue, tu n'étais à la recherche de rien, ce que tu attendais ne te serait pas donné pendant un voyage, tu avais noyé tes pensées dans l'eau savonneuse qui courait sur les tomettes, tu avais passé tes vacances dans l'appartement, tu avais mis le congé à profit pour le connaître mieux, tu avais beau y avoir vécu depuis onze ans, il te semblait que c'était la première fois que tu le découvrais ainsi, en profondeur, il s'était créé entre toi et lui une nouvelle relation, vous partagiez des secrets et des fous rires, ces moments où tu t'étais cogné en te relevant et seuls les carreaux brillants de la cabine de douche avaient été témoins de tes jurons et de ton embarras, l'appartement demandait de l'entretien, comme en amour il fallait veiller la flamme, l'appartement attendait de toi un engagement sans faille et tu souriais à présent, sûr de tes sentiments

2.2.07

l'écologie



l'écologie préconisait cinq minutes de coupure d'électricité entre dix-neuf heures cinquante-cinq et vingt heures et déplorait après coup l'échec du suivi de la manifestation citoyenne, eût-elle été plus maligne, elle aurait repoussé le créneau de cinq ou six heures et aurait pu s'enorgueillir, selon une mauvaise foi toute politique qui l'aurait élevée au rang de ses concurrents au pouvoir, d'une adhésion quasi unanime à ses idées

1.2.07

le cinéma



il n'y avait que dans les films que les héritiers étaient heureux de découvrir une caisse pleine de vieux courriers, ils ouvraient les enveloppes avec émotion, y dénichaient des secrets enfouis, des amours inédites, ils se replongeaient dans la vie des aïeuls avec délectation et patience, la poussière avait heureusement épargné les piles de photographies jaunies et les lettres oubliées, les héritiers superbes n'éternuaient jamais en remuant les souvenirs des autres, il y avait là matière à écrire de belles histoires se disait-on la larme à l'œil, calfeutré mollement sur son siège de cinéma
la réalité était toute autre, j'avais enfin compris que les lettres que je gardais depuis mon enfance ne servaient à rien et je les détruisais méticuleusement, un sourire mauvais au coin des lèvres, la nostalgie était passée à la trappe et sa chute interminable me laissait parfaitement de glace