31.7.06

superman



était-ce la mâchoire trop carrée, le bleu surhumain des yeux ou la mèche noire qui, dans l'effort, rebiquait parfois sur le front? la toute-puissance ne m'intéressait pas, ce qui me tenait en émoi, ce qui m'attachait au personnage, c'était l'échec, la possibilité de l'échec, la rupture éventuelle, ce que j'attendais, c'est que superman craque, qu'il s'effondre, qu'il cède enfin, un genou en terre, la nuque rompue et la cape lourde sur ses épaules affaissées, que ses traits se brisent, qu'il renonce, qu'il admette enfin qu'il n'était pas taillé pour le rôle, qu'il prenne un petit appartement dans l'east side, qu'il achète des débardeurs, qu'il traîne un soir, solitaire, à la terrasse fraîche d'un bar de greenwich village et que son sourire ultrabrite s'épanouisse à nouveau quand nos verres se rencontreraient

30.7.06

la lucidité



je me demandais à quel moment l'artiste prenait conscience que c'était fini, je me demandais quand (à quel âge? à quel instant précis? après quel événement?) le musicien renonçait à chanter, le chanteur à jouer d'un instrument, à quel moment la lucidité se faisait-elle du talent dans telle discipline et non dans telle autre, ou de son absence : quand l'artiste acceptait-il qu'il ne serait jamais, et tout à la fois, auteur-compositeur-interprête, mais que son talent servirait le talent des autres dans l'établissement d'une œuvre à laquelle il n'aurait jamais pu prétendre seul?
je complétais la question en cherchant un rapprochement avec la littérature, je me demandais à quel moment l'auteur prenait conscience que sa voix était moindre, mineure, à quel instant précis acceptait-il enfin de jouer dans les coulisses des autres auteurs, quand l'écrivain renonçait-il à ses rêves de grandeur avec l'humilité nécessaire pour ne pas en vouloir aux autres, ni à lui-même, de ce que la vie avait fait de lui : quelqu'un comme tout le monde

29.7.06

la passion



tu n'aimais pas que je te prenne en photo, tu disais que je n'étais pas capable d'en réussir une, tu effaçais les tentatives que j'avais faites, je ne t'en voulais pas, je pensais que l'on était maître de son image, que l'on avait le droit d'en faire ce que l'on souhaitait, tu disais ensuite que tu étais moche, ce que je t'interdisais de dire à nouveau, puisque ce n'était pas vrai, j'apparentais cela à de la fausse modestie, une volonté d'entendre le contraire dans ma bouche mais lorsque je te disais que je te trouvais beau, ce que je ne disais pas souvent non plus, je n'avais jamais été doué avec les compliments, tu n'avais pas particulièrement l'air heureux, ni de me croire, j'avais fini par comprendre que cela te suffisait de me photographier moi, beau ou pas beau ce n'était pas le problème, ce qui importait c'était que je me donne à toi, que je me laisse faire, et tu me prenais, et tu te servais sans compter, tu consommais à loisir, entre passion et dévotion, tu me stockais dans tes disques durs, peut-être me convoquais-tu pour quelque intime eucharistie en prévision d'un événement fatal qui m'arracherait à toi, définitivement, du moins je l'espérais, égocentrique

28.7.06

l'éditeur



à l'automne, je recevais une carte postale de genève, quelques mots au feutre noir signés de ses initiales, il était en train de lire les épreuves de mon premier livre, ça lui plaisait, vraiment, énormément, alors il le disait, écrivait-il, il me donnait rendez-vous à bientôt, on ne se rencontrerait que cinq ou six fois, le plus souvent aux éditions et deux fois par hasard dans les rues de paris, il n'y aurait jamais d'intimité entre nous mais quelques éclats au téléphone, de rire ou de rage, et une seule fois, de sa voix simultanément grave et aiguë, le mot ambition à mon sujet et le regard qui va avec

27.7.06

l'année suivante



on buvait un verre à montpellier, au café de la mer, elle nous avait rejoints à l'heure dite, c'était l'année suivante, juillet à nouveau, elle parlait avec toi, de nice, du passé, j'observais son profil acéré, le regard noir planté au fond de tes yeux et le sourire merveilleux qui transformait son visage, elle s'était tournée vers moi brusquement, elle avait bu un verre la veille, au même endroit, avec guillaume dustan, qui lui avait dit qu'il allait me publier, elle m'avait demandé : le livre sort quand?
j'avais répondu que j'attendais un message et la signature du contrat, je ne savais pas encore que ces choses-là prenaient du temps et que je n'avais aucune patience

26.7.06

le message




on roulait vers saint-rémy de provence, on y avait retenu une chambre, le vent chaud s'engouffrait dans la décapotable, on devait crier pour s'entendre, on parlait de littérature, tu disais qu'il fallait être patient, je perdais courage, j'avais envoyé un manuscrit en février, on était en juillet, il n'y avait eu aucune réponse, tu m'avais demandé pourquoi je t'en parlais à ce moment-là, qu'est-ce qui m'y faisait penser, je n'avais pas de raison satisfaisante, sans doute le fait que dans la décapotable, avec le vent et le bruit, je n'entendrais pas mon portable sonner si un éditeur voulait me publier, tu avais répondu que les éditeurs n'appelaient pas l'été, que c'était les vacances pour tout le monde, je m'étais dit que tu avais raison, qu'il fallait essayer de penser à autre chose
en arrivant à l'hôtel, il y avait un message de guillaume dustan sur mon répondeur

24.7.06

oz



keller: so you a fag?
beecher: no. you?
keller: i do what i have to.

23.7.06

l'innocence




elle creusait une pastèque, méthodiquement elle en retirait des énormes morceaux de chair rouge qu'elle épépinait, elle les gardait dans un grand bol, elle faisait de même avec plusieurs melons, elle coupait des dés d'abricot, de pêche blanche, de brugnon, elle remettait le tout dans la coupe saignante que dessinait après mutilation la pastèque ouverte, elle ne mélangeait pas, les fruits se seraient écrasés, mais elle laissait ainsi sur la table la béance déchirée, à l'apparence, maintenant que j'y réfléchis, d'un œuf d'alien vert et nervuré, sur laquelle on penchait le visage, confiant, gourmand, la main tendue, à cet âge où les choses n'ont pas de lien entre elles et les actes perpétrés par les adultes sont forcément les bons, ceux que l'on reproduira avec fierté, couteau à la main, avant d'en saisir le message -ou les conséquences

"notre histoire", palais de tokyo 2006, olivier babin

22.7.06



tu sais qu'il ne se passe rien l'été, les choses restent en suspens, comme dans les films de science-fiction lorsque le méchant balaie la planète de son super-rayon congelant et que la vie se fige, le vol des oiseaux s'arrête, le cours des torrents, les aiguilles des horloges et le battement des cœurs -sauf que l'immobilité se nappe d'une couche de glace et l'univers saisi s'apaise dans un silence éternel, alors que là

21.7.06

l'engagement



je n'ai pas peur de la chaleur, je ne mourrai pas de la canicule, je ne me dessécherai pas, je ne me déshydraterai pas, je saurai qu'il faut boire, qu'il faut passer les avant-bras sous l'eau du robinet, à plusieurs reprises plusieurs fois par jour, je profiterai de l'été, je ne transpirerai pas plus qu'il ne le faut, je ne me laisserai pas avoir par le soleil, je fermerai les persiennes dès le matin et les rouvrirai à la tombée de la nuit, je vivrai dans la pénombre, je ne sortirai que si c'est réellement nécessaire, je marcherai doucement, je suivrai les trottoirs ombragés, je regagnerai mon appartement en prenant mon souffle, je chercherai les courants d'air, je ne regarderai pas la télé, je lirai des livres captivants qui me garderont immobile pendant les heures les plus chaudes de la journée, je ne voterai pas à droite, je ne sourirai pas aux hommes politiques qui rendront visite aux vieux qui agonisent dans les maisons de retraite, je ne leur tendrai pas la main, je tournerai les talons comme ils ont haussé les épaules une fois élus, certains de leur pouvoir, je les ignorerai, je me dirai qu'ils sont vieux eux aussi et que la mort est rusée

20.7.06

le courant



tu te penches sous le bureau, le sang te monte à la tête, c'est un effet de la chaleur ou un énervement soudain, tu évites de jurer, ça ne sert généralement à rien, tu ne comprends rien aux fils, tu as l'habitude de les regrouper savamment pour avoir le plaisir de t'y retrouver lors de ta prochaine visite mais c'est un lieu commun que de dire que les fils électriques ont une vie propre et ce n'est jamais le bon cordon que tu tiens entre tes doigts fébriles, tu cherches une explication qui n'existe pas dans un juron qui t'échappe finalement, derrière toi il te demande si ça se passe bien et, le cou rompu, incapable de redresser le visage, tu grommelles un devine qui se passe de tout commentaire, tu finis par démêler la pelote improbable, tu retiens ta respiration pour éviter la poussière qui s'en dégage, tu branches l'appareil, après tout, tu avais un but précis, très simple, ajouter une fonction à ton installation déjà bien chargée, le voyant passe au vert, tu le retrouves dans la cuisine, il te sert un verre de vin en souriant, le courant passe

19.7.06

mona



le nez droit, effilé, une pince qui affine les sinus et, ce faisant, les allonge, l'importance n'est pas anecdotique mais définit sa vie, la voix est sifflante à travers les dentales, la bouche est mince sous des lèvres bleutées, le sourire est unique et généreux sous l'acier doux du regard, elle fixe avec précision, l'œil se rive à votre œil et le contact est plein, il faut être capable de le supporter, de succomber à la séduction induite, streisand ou carrie bradshaw, il faut pouvoir affronter la modestie simple qui masque le talent démesuré, elle travaille avec les sens, c'est une femme de senteurs, de sensibilité, en nuances lourdes et sensuelles, capiteuses, fleuries ou boisées, son nom, comme sa création, est d'or

17.7.06

l'impasse



je racontais que mes voisines du premier étage, d'origine marocaine ou tunisienne, je n'étais pas sûr, mettaient la musique très fort et parlaient au téléphone en se penchant à la fenêtre dans la cour et que mon voisin du deuxième, juste en dessous et d'origine indienne, cherchait à rivaliser avec elles et augmentait le volume des cd bollywoodiens qu'il écoutait en fin d'après-midi, je disais que c'était comme un concours entre eux, dont le seul résultat était que nous avions l'impression de vivre en leur présence dans l'appartement, je remarquais la lueur qui s'allumait dans le regard de mon auditoire, le doute qui s'immisçait sur le racisme dont je faisais peut-être preuve, je me disais que si les voisins avaient été suédois et anglais, personne n'aurait rien pensé de ce que je venais de dire, voulant me déculpabiliser -puisque je me sentais le premier coupable- je rajoutais que les voisins du même palier que nous discutaient un soir avec des gens de l'immeuble en face, tellement fort que j'étais sorti sur le balcon, harassé, pour dire que j'en avais plus que ras-le-bol, je souhaitais apporter cette précision que ces voisins-là étaient blancs, mais le mot me paraissait exagérément insidieux, aussi je ne disais rien de plus, bredouillais finalement une banalité sur les rapports de voisinage, certain que je ne m'en sortirais jamais

16.7.06

les quantités



sa mère lui dictait au bout du fil la liste des courses qu'il lui apporterait à sa prochaine visite et qu'il notait sur un post-it, on pouvait y lire : 1 roast-beef 300 g, 8 pdt, 1 laitue, 4 pêches jaunes, 3 bananes, et c'était particulièrement cette précision-là, le nombre de fruits désirés, pair pour les uns et impair pour les autres, qui retenait mon attention, je m'imaginais que sa mère avait mûrement réfléchi sa décision avant de passer le coup de téléphone et je me demandais si d'une semaine à l'autre les quantités variaient, et si oui, quel en était le motif

15.7.06

la mode



tu m'as offert un polo rose, une couleur franche, ni rouge passé, ni mauve clair, un rose presque exagéré, comme forcé, surexposé, issu d'une œuvre hyperréaliste, un rose tendancieux qui n'avait rien à voir avec le velours saumon que ma mère me forçait à porter dans les années soixante-dix, sous la peau de mouton sans manches que l'on arborait alors, la coupe au bol, relent hippie chez les bobos de l'époque, mystérieusement à la mode comme on savait l'être, comme on se devait de l'être, comme je le suis toujours, en avance même, une mesure d'avance, nécessaire, décalée, outrée parfois -et le regard du père sur la mèche qui balaie mon front, même s'il me perturbe suffisamment pour que j'y accorde de l'importance, me donne raison, baromètre

14.7.06

la littérature



«je n'étais pas comme ça, je ne vivais pas les choses pour les écrire»
christine angot, rendez-vous

13.7.06

la surprise



tu sais, ces drôles de jouets que tu remarques en vacances, dans les supérettes le plus souvent et les maisons de la presse, qui portent un titre générique un peu ridicule, sans marque, ils regroupent divers éléments sur un même thème, souvent inclus dans un emballage de plastique qui met chaque objet en valeur dans son petit habitacle renforcé, tu te rappelles que tu les désirais, ces jouets-là, leur exotisme dépassé, combien, à la différence des jeux dont tu rêvais et des lettres au père noël que tu t'étais appliqué à remplir de leurs références, tu n'avais jamais pensé à eux, tu ne les avais jamais même imaginés, et soudain, devant toi, ces étranges choses se révélaient, elles possédaient un pouvoir que tes autres jouets, familiers ou qui le seraient bientôt, n'avaient pas, elles te prouvaient que la surprise était possible, que quelle que soit la sensation que tu avais eue quelques secondes plus tôt de n'avoir plus rien à attendre -et tu soupirais les yeux au ciel, entre lassitude triste et écœurement poussif- la vie tiendrait ses promesses

12.7.06

l'alliance



je ne peux m'empêcher de sourire quand, au cinéma, le mari infidèle, juste avant de passer à l'acte, enfouit son alliance dans sa poche, offrant à sa maîtresse l'image d'une main libre, à l'annulaire effilé, innocent, je me dis à chaque fois que c'est un geste aberrant, au même ordre d'ailleurs que porter une alliance en guise de fidélité et blâmer l'autre s'il (ou elle) avait le malheur de la perdre, preuve indubitable de l'adultère, pourtant je retire prudemment l'anneau de métal qui ceint mon annulaire lorsque je me masturbe sur internet et j'efface scrupuleusement les traces de mes actes une fois le forfait accompli, ayant été à bonne école et sachant ce qu'il en coûte de se faire prendre

11.7.06

la communication



le couple se tient les mains, à la terrasse du café, elle se penche sur l'avant-bras qui se ferme sur son poignet délicat, sa joue caresse le poil noir, il lui sourit, plonge à son tour, les visages ne se touchent pas, séparés par la largeur de la table, mais leur regard se perd l'un dans l'autre, il lui murmure des mots qui la font rougir, sa voix mâle, virile, interdisant la confidence et la terrasse profite de leur amour
lorsque son téléphone portable sonne, il se redresse vivement, prend la communication, le couple se détache, elle sirote son café, absente, lui abaisse sur ses yeux les lunettes noires qu'il portait en visière, rompt le contact avec elle comme le passager important d'une voiture fait coulisser la paroi teintée qui le sépare de son chauffeur, et réfugiées derrière le verre fumé, ses pupilles libérées jouent sans témoin une gamme d'émotions nouvelles qui ne la concerne plus

10.7.06

la jalousie



elle racontait souvent que sa sœur était jalouse de ses cheveux longs et noirs, elle les portait longs elle aussi, mais roux, ondulés, une boucle indéfrisable qui n'avait rien à voir avec la masse brillante, indienne, de la chevelure de l'autre, elle disait que sa sœur avait gagné un jour, on lui avait coupé les cheveux courts sur la tête, sa sœur jubilait, en mouvements fauves sur l'épaule tandis qu'elle, mutilée, avalait ses larmes, rancunière, elle disait aussi qu'elle ne lui avait jamais pardonné

9.7.06

collection






collection n.f. (lat. collectio, de colligere, réunir) : réunion d'objets choisis pour leur beauté, leur rareté, leur caractère curieux, leur valeur documentaire ou leur prix.

8.7.06

la plongée



l'eau s'est refermée sur lui comme la caresse d'un drap que l'on rabat sur un corps endormi, la force de la nappe a pesé sur sa tête avec bienveillance, une main ferme qui l'empêchait de revenir à la surface, le gardait contre un sein liquide et généreux, une source qui ne tarirait jamais : ses poumons se sont gorgés d'eau, puis sa cage thoracique autour des poumons, les espaces libres de son anatomie ont connu tour à tour le remplissage lent et méthodique tandis que le corps s'enfonçait sans remous dans les profondeurs obscures, les cellules ont éclaté sans bruit, leur membrane perméable à l'eau salée, en équilibre parfait, osmotique, ses yeux sont restés ouverts, le blanc à jamais humide, plongé à la découverte des mondes inconnus
à la surface, des bulles irréelles ont quelques secondes éclos à l'air libre, puis l'onde a retrouvé son doux balancier, sous un ciel immense, illuminé d'un soleil aveugle, sans limite

7.7.06

homme

je suis de ces enfants qui mangent du poivre, de la moutarde, qui, sous le regard à la fois admiratif et amusé des adultes, tartinent le rebord de leur assiette de pâte de piments trop épicée et ferment les yeux lorsqu'ils avalent, prêts à jurer que non, ce n'est pas trop fort et que oui, ils en reprendraient bien un petit peu, je suis de ces enfants que le mensonge n'arrête pas quand le but est de paraître plus mûr, plus maître de soi, quand il faut prendre sur soi pour montrer l'exemple, que l'on dise : quel caractère, avec une moue de la bouche et un hochement fier de la tête



je suis de ces adultes qui ne quittent pas l'enfance, quoiqu'il arrive, qui ne grandissent pas, ne deviennent jamais des hommes, ne passent pas par cette étape intermédiaire et magnifique qui transforme l'adolescent en mâle, je suis de ces adultes qui, passé l'âge-charnière, l'âge où tout est encore excusable, basculent soudainement dans la vieillesse, je suis de ces adultes qu'on ne reconnaît plus un jour, sur lesquels on se retourne en se demandant si c'est bien eux



je suis de ces hommes qui ne sont jamais satisfaits de leur sort, de leur destin, de leur hérédité, je suis de ces hommes qui se battent continuellement contre ce qu'ils sont, contre ce(ux) qu'ils aiment, contre ce qu'on leur impose et ce qu'ils s'imposent à eux-mêmes, je suis de ces hommes qui ne se résignent pas, qui n'acceptent rien et qui triomphent, immanquablement

6.7.06

l'anniversaire



de la même façon qu'il fermait les yeux ou qu'il se cachait sous la table pour la galette des rois, de la même façon qu'il voulait une bûche à noël, et pas n'importe laquelle : celle avec le petit bonhomme rouge, le renne et la scie en plastique plantée dans le nœud de l'arbre, il voulait des bougies sur son gâteau d'anniversaire, qu'importait le nombre d'invités, même s'ils n'étaient que tous les deux, c'était quelque chose qui l'émouvait depuis toujours, le moment où la lumière s'éteint, quand les vœux sont formulés devant les flammèches éphémères, juste avant que l'on souffle et que les mains, d'un commun accord, l'applaudissent avec fracas

5.7.06

le football



on allait au stade de l'ouest, à l'aire saint-michel, au stade jean bouin, on prenait un bus, toujours le même, on s'asseyait au fond, on regardait les voitures, les garçons regardaient les filles, ils sifflaient quand les filles montaient dans le bus, il y avait des jeux qui m'échappaient, des regards qui m'énervaient, on se mettait au fond mes amis et moi, on rigolait sous cape, comme les enfants qu'on était, on descendait du bus, les vestiaires puaient, le prof de gym s'en prenait toujours aux mêmes, généralement à ceux qui ne riaient pas à ses bons mots sur les filles, on se retrouvait sur les pelouses, bien trop nombreux pour former deux équipes mais il n'y avait, déjà, aucune chance d'échapper au football

4.7.06

la patience



la chaleur face à l'écran, la télé est muette, dans l'appartement le silence, seule la frappe rythmée sur le clavier, aucun son n'émane de toi, tu sais l'égoïsme que cela décuple, tu ne feuillettes pas de magazine, ton regard vers le ciel mauve tu attends dans le fauteuil bleu, que le travail se termine

3.7.06

lo



ses mèches sont noires, en épi sur le front, ou pointent vers la bouche, elle accroche-cœur parfois, elle louise brookes aussi, elle cherche quelque chose dans le physique travaillé qu'elle a peut-être trouvé, puis perdu à nouveau, ou qu'elle perd à loisir pour le plaisir de le chercher encore, elle a des yeux étonnés et une bouche qui parle trop, elle rit soudain, en décalage, noyée dans son rôle, avalée par le personnage, c'est un manga, c'est une artiste, elle voudrait faire des films, rencontrer les auteurs qu'elle aime, elle dévore les livres comme un vampire ne fait qu'une lampée de sa proie et se régénère par la lecture, elle connaît les noms par cœur, les lieux, les pages, scolaire elle pourrait citer les phrases, réciter les textes, elle s'arrête parfois, immobile, figée dans son extravagance, dépassée par la fiction, une pensée la traverse alors qu'elle ne confie pas, elle s'allonge, inhumaine, une silhouette, une ombre, elle porte le même prénom que moi, en diminutif, comme une ankh rivée à son cou, une larme en étoile, éternelle

"notre histoire", palais de tokyo 2006, virginie barré

2.7.06

la menace



le nouvel ordinateur est sur le lit, bloc noir dans son emballage blanc, il a pris la place de la peau tigrée qui veillait sur mon sommeil, il est tout aussi redoutable, une menace potentielle qu'il faudra caresser dans le sens du poil pour la faire fondre lentement et que la langue râpeuse de l'informatique consente à lécher mon visage, affectueuse, reconnaissante

1.7.06

l'agent secret

l'éditrice s'est tournée brusquement vers moi, elle exposait les qualités d'un premier roman qui allait paraître à la rentrée littéraire, elle a dit : un premier roman, c'est un moment exceptionnel, je ne sais pas quel souvenir vous en gardez vous-même… j'ai abondé dans son sens, surpris qu'elle s'adresse à l'auteur, même si je m'étais présenté comme tel à mon arrivée, puisque c'était le libraire qui était invité à la séance de communication autour de ses livres, je n'ai pas croisé le regard des autres libraires, c'était à la fois un sentiment de fierté et de honte qui se manifestait en moi, la sensation d'être reconnu par l'éditrice venait côtoyer celle d'être démasqué par les libraires, avec cette soudaine inadéquation de ma position autour de la table, le cul entre deux chaises bien que je fusse solidement vissé à la mienne, il a fallu quelques minutes pour que je retrouve le contrôle de mes pensées et la qualité d'écoute que je prêtais à la présentation, que j'ai quittée le premier, en apparence sûr de moi, conscient que les regards convergeaient vers ma silhouette écrasée de soleil, derrière des lunettes noires que j'aurais voulu mystérieuses et intimidantes, et qui, accessoire obligé des stars et des agents secrets, l'étaient peut-être